Louis Chaudier
Table des matières :
1 - Deux paradis — Genèse 3:22-24 ; 4:8-22 ; Apocalypse 22:14-15 ; Jean 14:6 ; Matthieu 7:13-14
Le texte de ces méditations a été révisé par Bibliquest dans sa forme, par rapport à diverses éditions papiers précédentes. Les révisions ont été limitées à ce qui était nécessaire à une expression et une compréhension correctes. Le texte reste marqué par son caractère oral, non révisé par l’auteur. Dans certains cas d’expressions au sens discutable, l’imperfection de celles-ci a été laissée de peur d’en perdre une certaine vigueur.
Certains textes ont été repris de l’ouvrage « Méditations sur la vie chrétienne » édité en 1995 par F.R., et sont notés comme tels. Ces textes ont fait l’objet (par F.R.) d’une révision un peu plus poussée.
[LC n° 1]
26 avril 1964
Méditations sur la vie chrétienne, édition FR 1995, p. 9
Les premiers chapitres de la Genèse sont d’un extrême intérêt. Les hommes sont bien embarrassés avec des passages comme ceux-là. Il n’y a pas eu de témoin. Il y en a eu pour ce qui concerne la vie de Jésus, par exemple, quoique, en dehors d’une explication et d’une compréhension spirituelles des choses, il ne faille pas nous attendre à un témoignage profitable. Mais pour la création, il n’y a pas de témoin parce qu’il ne pouvait pas y en avoir. Le seul témoin est Celui qui parle. Il laisse tomber ses paroles comme des oracles avec une simplicité qui ne fait que confirmer leur autorité absolue. Il connaît tout à fond parce qu’il a lui-même tout créé. L’Écriture donne au chrétien des réponses sûres aux besoins de son esprit, de son coeur et de sa conscience ; seul il connaît l’explication véritable de cette énigme que constitue le monde dans son état actuel.
L’homme est un être étrange : il a des besoins très élevés, il connaît le bien et le mal et il ne peut pas éliminer de son esprit cette connaissance mystérieuse. C’est sa caractéristique essentielle, bien plus noble que son aptitude à penser ; en cela, il ressemble à Dieu. Il connaît le bien et le mal d’une façon intrinsèque, sans qu’une loi lui impose la distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal, même si parfois sa conscience est oblitérée. Il est impossible à l’homme de chasser de son esprit la voix de sa conscience. Cette faculté témoigne qu’il est différent d’une bête. Un enfant très jeune a déjà des réactions qui trahissent l’activité de sa conscience. La lumière entre dans l’homme par la conscience, non par la pensée ou par un effort mental : c’est l’erreur des rationalistes, qui tous aboutissent à une impasse. On ne découvre pas Dieu par la pensée, mais par la conscience. Dieu nous parle d’une façon suffisante, mais très sommaire, des profonds secrets de sa création. En revanche, la Bible toute entière abonde et surabonde en considérations et instructions relatives au bien et au mal. La Parole de Dieu, c’est cela ; c’est ce qui la distingue de tous les livres humains, c’est ce qui la dresse contre tous les livres humains. Si vous parlez à des gens instruits de telle question relative à la création, leurs oreilles s’ouvrent ; ils sont flattés de se considérer comme des dieux capables d’expliquer certains phénomènes de la sphère dans laquelle ils se meuvent et qu’ils estiment être leur propriété. Mais dès que vous touchez la question du péché, vous ne trouvez plus d’oreille pour vous écouter. Or l’Écriture ne parle, au fond, que de cela. On n’aurait pas besoin de la grâce s’il n’y avait pas de péché. La grâce entre en scène parce que le péché l’a précédée. Dieu est trop bon pour nous amuser avec des questions secondaires, comme la création d’un monde qu’il détruira un jour, ou la création de l’homme qu’il détruira aussi dans sa forme actuelle.
La Parole de Dieu est entièrement consacrée aux activités divines à l’égard de la misère qui a fondu sur l’humanité, un des tout premiers jours de la création, en raison d’un péché jugé aujourd’hui dérisoire. Ce n’est pas par convention que les frères le disent, probablement plus et mieux que la plupart des vrais chrétiens d’ailleurs ; s’ils sont vrais devant Dieu, ils le disent par une profonde conviction intérieure : l’homme est un être perdu, et Dieu nous a raconté l’histoire tragique de cette chute. Les moralistes sentent bien qu’il faut regarder cette misère en face, le mensonge, la souffrance, la maladie, la mort. Toutes les couches sociales sont touchées, de l’homme le plus frustre à l’homme le plus raffiné. L’Écriture est claire, il n’y a pas de différence. Le reste est un vernis dont on revêt un matériau perdu. Les frères et les soeurs âgés ont pu l’apprendre en apprenant à se connaître eux-mêmes ; mais je dis cela aux jeunes pour que le monde ne les détourne pas ; ils ont à portée de mains le seul foyer de lumière qui existe dans ce monde couvert de ténèbres.
L’homme est tombé ; Ève a désobéi, Adam l’a suivie. C’est la fin de l’accès à ce paradis d’innocence. Même un enfant n’est pas innocent, dans le sens essentiel du mot ; un enfant ou un homme est innocent à l’égard d’un acte auquel il n’a pas participé. Mais devant Dieu il n’y a pas d’innocence, c’est fini depuis longtemps. Notre conscience nous fait honte du mal que nous ne pouvons pas ne pas faire, même si les hommes se jettent dans les plaisirs ou dans les affaires pour se fuir eux-mêmes.
Le premier couple est chassé hors du paradis. Ce qui est arrivé après cette aube tragique n’est pas moins solennel ; un frère tue son frère. Et pourquoi donc ? « Parce que ses oeuvres étaient mauvaises et que celles de son frère étaient justes » (1 Jean 3:12). Le premier crime a été commis par haine religieuse. Nous sommes descendants d’Adam et Ève ; nous sommes dans le même état moral que Caïn qui a rougi ses mains du sang de son frère. Après la première faute, une seconde : la violence ! Toutes les vagues du mal qui ont suivi celle-là en portent l’image. La jeunesse chrétienne doit veiller à éviter tout contact avec le mal, bien qu’il soit plus difficilement évitable aujourd’hui qu’autrefois.
Caïn est ainsi emporté dans le chemin de la malédiction ; c’est l’histoire du monde. Qu’est-ce que cela peut nous faire qu’il y ait eu, dans l’Égypte ancienne, telle ou telle dynastie, même si certains sont obligés de s’instruire pour faire face à leurs charges professionnelles ? Mais que nos premiers parents soient responsables du meurtre commis par un de leurs enfants, c’est une leçon morale de la plus haute valeur, permanente, universelle et définitive pour l’humanité. Si nous maintenons ce fait biblique que l’humanité ne peut pas être améliorée, ne nous attendons pas à pouvoir partager cette conviction avec tout le monde, même pas avec les personnes convenables et de qualité, même pas avec toutes les personnes véritablement chrétiennes. Certaines d’entre elles n’ont pas abandonné l’espoir d’effacer les traces des crimes de l’homme écrites sur le frontispice de l’humanité par le doigt de Dieu. Le chrétien apprend, dans l’expérience de sa vie, l’exactitude de l’affirmation de Paul, homme de haute valeur morale avant sa conversion et croyant d’élite après sa conversion : « Je sais qu’en moi, c’est-à-dire en ma chair, il n’habite point de bien » (Rom. 7:18). Il n’est pas nécessaire de marcher sur les traces de Caïn pour arriver à cette conviction. Nous pouvons apprendre cette leçon avec Dieu, et la leçon est encore plus profonde ; nous n’avons pas besoin de l’apprendre avec Satan. À l’école de Dieu, nous apprenons à nous mettre d’accord avec lui. Les frères, avec toute la lumière qu’ils ont reçue sur ces sujets fondamentaux, devraient être les plus humbles de tous les hommes et glorifier Dieu plus que tous les hommes, étant d’accord avec Dieu contre eux-mêmes. Toute prétention est une offense à Dieu parce qu’elle dément les déclarations divines, comme si l’homme avait le droit de lever la tête après tout ce qu’il a fait.
L’origine de la création intéresse les savants ; laissons-leur cela, il faut bien qu’ils fassent quelque chose. Il faut bien qu’un homme ait un objet ; pour l’un, les affaires ; pour l’autre, les arts ; pour l’autre encore, les sciences, ou la philosophie. Le travail en soi est une chose excellente et la paresse est condamnable. Mais la soif inextinguible de l’homme est la démonstration publique et permanente qu’il a perdu Dieu. S’il avait Dieu, il serait tranquille. Au jardin d’Éden, il n’y a pas eu de savants, ni d’artistes, ni de philosophes. Un frère disait : « La perfection pour une créature, c’est de jouir de son Créateur ». Au ciel, nous ne ferons pas autre chose, nous n’aurons pas d’autres désirs. Nous serons plongés dans l’amour de Dieu comme dans un océan sans fond ni rivage. Un vase, même fêlé, plongé dans l’océan, reste toujours plein.
L’histoire morale de l’homme, avec toutes ses misères et ses aspirations, avec ses besoins et ses capacités, nous montre qu’il a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Si nous frappons un homme, nous commettons un crime de lèse-déité. Après le déluge, le gouvernement de la terre est donné à Noé : le sang de l’homme doit être vengé ; une bête qui avait tué un homme devait être mise à mort. Nous n’avons pas à abaisser l’homme ni à l’élever.
L’homme a, pour ainsi dire, été chassé deux fois : Adam et Ève du jardin d’Éden d’abord, puis Caïn devenu vagabond loin de la présence de Dieu. Nous voyons, dans la descendance de Caïn, la naissance de diverses activités de notre monde. Apparaissent ceux qui habitent sous des tentes, les nomades qui gardent leur bétail ; ceux qui manient la harpe et la flûte, qui s’expriment par les arts ; ceux qui forgent l’airain et le fer, adonnés à la science et à la technique. Ces activités, qui se sont développées au cours des siècles d’une façon si remarquable, prouvent que l’homme, ayant perdu Dieu deux fois, s’est dépensé fébrilement à satisfaire ses aspirations sans Dieu. Ces activités, auxquelles d’ailleurs nous participons nécessairement à notre époque où l’homme fait tant de prouesses, qui ne dépassent pourtant guère celles de cette époque primitive où il y avait si peu de ressources, démontrent les aptitudes intellectuelles de cette créature qui a perdu Dieu et qui, d’une génération à l’autre, erre à droite et à gauche sans trouver un lieu de repos. Des hommes très brillants auront peiné toute leur vie en laissant espérer l’aurore d’un jour meilleur. Or tout cela est condamné : nous ne pouvons pas faire Dieu menteur. Toute page de l’Écriture est signée de Celui qui ne peut mentir ou se démentir, l’alpha et l’oméga, qui était avant quoi que ce soit fût et qui sera quand tout aura disparu sous sa forme actuelle. Que Dieu nous élève à ses propres hauteurs !
Un paradis s’est fermé à jamais, celui des deux arbres. Un autre paradis s’est ouvert, celui d’un seul arbre. « Bienheureux ceux qui lavent leurs robes, afin qu’ils aient droit à l’arbre de vie » (Apoc. 22:14), qui est dans le paradis de Dieu. La fin de l’Écriture fait contraste avec le commencement. Le désastre du commencement fait place à la grâce souveraine et victorieuse. Il n’y a plus l’arbre de la connaissance du bien et du mal, celui de l’homme responsable. Adam, mis à l’épreuve, est tombé, et le chemin de l’arbre de vie est devenu inaccessible. Alors Dieu est intervenu en grâce souveraine, sans nous demander notre avis. Il y a désormais deux domaines, celui de la gloire de Dieu, de la bénédiction absolue dans la présence de Dieu, et celui des ténèbres du dehors. L’oeuvre de Christ ouvre un autre monde défini par le paradis de Dieu où il n’y a plus que l’arbre de vie, et l’arbre de vie, c’est Christ. La question de la responsabilité de l’homme a été résolue par Christ à la croix. Dieu, ayant été glorifié par le sacrifice de Christ, peut, en justice et en grâce, ouvrir toutes grandes les portes d’un monde nouveau ; quiconque peut y entrer en lavant sa robe. Chacun est individuellement responsable devant Dieu : ajouter foi à ce que Dieu lui offre, ou demeurer sous sa propre responsabilité. Il y a la porte étroite et la porte large. Peu nombreux sont ceux qui suivent le chemin resserré, nombreux sont ceux qui suivent le chemin spacieux. Mépriser la grâce, c’est outrager Dieu. « Moi, je suis le chemin, et la vérité, et la vie ; nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14:6), dit Jésus. Ce n’est pas en pensant qu’on trouve Dieu, ni en faisant de bonnes oeuvres, ni en étant un honnête homme. Le seul chemin pour accéder à la connaissance de Dieu, c’est celui de la foi en Christ qui est le chemin du paradis de Dieu, et ce chemin passe par la croix.
[LC n° 140]
Dimanche après-midi 16 avril 1950
Méditations sur la vie chrétienne, édition FR 1995, p. 254
On n’aime pas parler de la discipline, et il n’y a pourtant pas un jour où Dieu ne l’exerce envers ses enfants d’une main sûre, à la fois douce et ferme. « Ta main est forte » (Ps. 89:13). Dieu ne se désintéresse pas pour autant des inconvertis ; il impose son gouvernement à un individu aussi bien qu’à une nation. Si une nation fait le mal à l’excès, il peut patienter cinquante ans avant d’envoyer une autre nation contre elle pour la châtier ; il peut même agir directement : il ne s’est servi de personne pour détruire Sodome et Gomorrhe. Ces deux villes sont un exemple de ce que Dieu fera au monde chrétien en temps opportun, car il n’est ni sourd ni aveugle ; il voit non seulement ce que les hommes voient, mais il discerne toutes choses et ses jugements sont en rapport avec ce qu’il sait lui seul. Il règle tout divinement.
Pourquoi la discipline ? Pour que nous participions à sa sainteté. Dieu discipline ses enfants parce qu’il les aime, comme un père qui a le souci du bien de son enfant, qui désire que son enfant reflète ses propres qualités morales. « Soyez saints, car moi je suis saint » (1 Pierre 1:16). La mesure de la sainteté, c’est celle de Dieu, non pas celle des juges de ce monde, ni celle des pharisiens de toute espèce. Et sans la sainteté, « nul ne verra le Seigneur » (Héb. 12:14). Dans les temps où l’Esprit de Dieu travaillait avec force, un verset comme celui-là labourait les âmes. Mais plus on approche de la fin, plus les âmes s’habituent aux passages les plus saisissants de l’Écriture. La sanctification, c’est la mise à part pour Dieu. Quand Dieu veut une âme, il la met à part et lui donne la vie. Il y a une sanctification initiale, qui est la mise à part par Dieu et pour Dieu ; et il y a la sanctification progressive, celle du chrétien qui est occupé du Seigneur et devient chaque jour plus conforme à Christ ; s’il est occupé du monde, il deviendra chaque jour un peu plus mondain. Mais personne ne peut faire la discrimination entre ceux qui sont nés de Dieu et ceux qui ne le sont pas.
On peut mépriser la discipline : c’est un danger. C’est penser que les circonstances sont dues au seul hasard. « Ne méprise pas la discipline du Seigneur » (Héb. 12:5). « Ésaü méprisa son droit d’aînesse » (Gen. 25:34), et Dieu lui dira : « Tu es fort méprisé » (Abd. 2). « Ceux qui m’honorent, je les honorerai ; et ceux qui me méprisent seront en petite estime » (1 Sam. 2:30). Dieu est fidèle, on peut s’appuyer sur lui ; ce n’est pas un roseau qui se casse et déchire toute l’épaule (Éz. 29:6-7). On peut aussi perdre courage ; c’est un autre danger. Une âme qui connaît la discipline de Dieu est souvent portée vers l’un ou l’autre de ces états. Dans le ciel, nous remercierons le Seigneur bien plus pour les épreuves qu’il nous aura données que pour les joies. Quand il y a beaucoup d’eau dans la rivière, on vogue facilement ; on oublie Dieu. Mais quand il y a peu d’eau, les danger sont grands, on crie, on a besoin de Dieu ; il entend. « À l’Éternel, en ma détresse, j’ai crié » (Ps. 120:1). Une âme exercée par la discipline (Héb. 12:11) porte du fruit ; la plupart du temps, un chrétien qui n’a pas d’épreuves rejette Dieu derrière son dos et il n’y a pas de fruit.
« Redressez les mains lassées et les genoux défaillants » (Héb. 12:12). On se fatigue de prier. Si nous voyons un frère ou une soeur accablé par quelque exercice, il faut prier avec lui et l’encourager à ne pas se lasser. La vie du chrétien est une vie de prières.
« Faites des sentiers droits à vos pieds » (Héb. 12:13). Celui qui suit un chemin tortueux cherche souvent à le faire paraître droit aux yeux des autres ; il se soucie plus des hommes que de Dieu. Celui qui suit un chemin droit ne s’occupe pas tellement de ce que les autres disent ; il a affaire à Dieu. La droiture, c’est avoir Dieu devant soi. On manque de droiture vis-à-vis de Dieu quand on dit : Seigneur, montre-moi ta volonté, qu’il nous la montre et qu’on prend un autre chemin. Un jour, Dieu mettra en évidence les conseils des coeurs ; cette gloire n’appartient qu’à lui seul. À nous il est dit : ne jugez pas ; nous n’avons pas à juger les motifs ; mais quant aux actes, la Parole nous dit : jugez ceux du dedans ; Dieu s’occupera lui-même du monde.
« Veillant de peur que quelqu’un ne manque de la grâce de Dieu » (Héb. 12:15). Le courant de la grâce dans le coeur entretient les relations avec Dieu ; sans cette grâce, la porte est ouverte à l’Ennemi ; il faut crier alors à ses frères : venez m’aider, je suis en danger ; sinon on s’enfonce toujours un peu plus. « De peur que quelque racine d’amertume, bourgeonnant en haut, ne vous trouble, et que par elle plusieurs ne soient souillés » (Héb. 12:15) ; c’est une allusion à Deutéronome 29:18, c’est la mondanité. Quand le monde entre dans le coeur d’un chrétien, il est changé peu à peu, il s’étiole, il s’appauvrit. Il parlera des choses de Dieu peut-être plus qu’avant, mais le son n’est pas le même. « De l’abondance du coeur la bouche parle » (Matt. 12:34), mais on peut mentir. Quand le monde entre dans une famille, toute la famille est troublée et souillée ; et celui qui apporte le monde dans l’assemblée souille l’assemblée. Le monde a envahi le christianisme : quel tableau ! Le courant du monde coule à flot dans la chrétienté : il a troublé, il a tout souillé. Il faut laisser le monde chrétien dehors. Des contacts sont inévitables avec le monde, mais Dieu sait nous faire sentir quand le monde entre dans notre coeur ; notre conscience de chrétien nous le dit, et Dieu est trop fidèle pour ne pas nous le dire.
En guise de conclusion à ces exhortations morales, l’Esprit de Dieu présente l’exemple vivant d’Ésaü, solennel entre tous, qui traverse toute l’Écriture. « De peur qu’il n’y ait quelque fornicateur, ou profane comme Ésaü, qui pour un seul mets vendit son droit de premier-né » (Héb. 12:16) ; c’est la chute, puis l’apostasie : « Il ne trouva pas lieu à la repentance » (Héb. 12:17) pour retrouver la bénédiction. Ésaü est fornicateur et profane. Il était en apparence plus sympathique que Jacob, que nous appellerions aujourd’hui un arriviste ; mais Jacob aimait Dieu et Ésaü n’aimait pas Dieu : voilà l’immense différence ! Jacob a été adroit pour la mal, rusé, il a supplanté, mais il tenait à la bénédiction de Dieu. Ses procédés étaient mauvais ; il a manqué de foi, mais dans son coeur il aimait Dieu. Ésaü était un fornicateur, il voulait satisfaire sa chair ; et il était un profane, il a vendu son droit d’aînesse pour un plat de lentilles. Il aimait la chasse, comme Nimrod qui était « un puissant chasseur devant l’Éternel » (Gen. 10:9), comme les gens qui se vantent de ce titre aujourd’hui encore. Pour un seul mets, il vendit son droit d’aînesse, qui était une bénédiction liée à la condition d’aîné ; Ésaü l’a méprisé, il a méprisé Dieu, car c’est Dieu qui l’avait institué. Il était profane, parce qu’il a traité les choses de Dieu comme les choses de l’homme. Les choses de Dieu doivent être laissées à Dieu. Un inconverti n’a rien à voir dans les choses de Dieu ; s’il s’en empare, il les profane. Pour les approcher avec vérité, il faut la foi. « Vous savez » — et nous le savons bien mieux encore que les Hébreux — « que, aussi, plus tard, désirant hériter de la bénédiction, il fut rejeté, (car il ne trouva pas lieu à la repentance,) quoiqu’il l’eût recherchée — la bénédiction — avec larmes ». Il a pleuré.
Que représente le droit d’aînesse pour nous ? Un homme baptisé porte le nom de chrétien. Le sceau du baptême chrétien le distingue des païens ; il a un droit d’aînesse ; il est extérieurement plus près de Dieu que les autres ; le nom de Dieu a été invoqué sur lui. Combien de chrétiens méprisent ce droit d’aînesse et ne désirent même pas croître dans la vraie connaissance de Dieu ! Ésaü était coupable parce qu’il était dans une position privilégiée et qu’il n’a pas su en tirer parti. Être fornicateur et profane comme Ésaü, aujourd’hui, c’est mépriser la position chrétienne dans laquelle le Seigneur nous a placés, et nous conduire comme si nous n’y étions pas. Mais les chrétiens qui se trouvent dans les milieux où on cherche à suivre la Parole de Dieu ont un droit d’aînesse par rapport aux autres chrétiens, et il leur sera demandé compte de la façon dont ils ont apprécié leur position. En méprisant ce droit d’aînesse, ils sont, à des degrés divers, fornicateurs et profanes ; ils pourront pleurer pour chercher la bénédiction, ils risquent d’être rejetés. Ils sont fornicateurs parce qu’ils méprisent Dieu pour se complaire à eux-mêmes, et ils sont profanes parce qu’ils n’apprécient pas les dons de Dieu à leur sainte valeur.
« On ne se moque pas de Dieu ; car ce qu’un homme sème, cela aussi il le moissonnera » (Gal. 6:7). Ésaü s’est moqué de Dieu ; il a déjà moissonné, et il n’a pas fini de moissonner. Il avait peut-être de bonnes raisons à invoquer, mais Dieu ne lui donne pas la parole pour se justifier. La bénédiction est sur Jacob, bien qu’il s’y soit mal pris pour l’obtenir, et qu’il ait été châtié toute sa vie pour cela. Rien n’offense Dieu comme l’oubli de ce qu’il est et le mépris de ce qu’il donne. Qu’il nous soit donné d’apprécier ce que Dieu nous a confié ; on ne joue pas avec les choses saintes.
Après le marchandage du droit d’aînesse (et que de marchandages ne voit-on pas aujourd’hui dans la chrétienté, et même parmi nous), une bénédiction bien relative est accordée à Ésaü au cours de cette scène où il pleure. Isaac a senti que la bénédiction échappait à Ésaü, contre son gré. Que de fois des parents influencent défavorablement leurs enfants pour des considérations personnelles, frappés de cécité spirituelle, comme Isaac dont les yeux étaient affaiblis (Gen. 27:1). Personne n’a aidé Ésaü à ce moment, même pas sa mère, qui préférait Jacob. Mais l’Écriture ne donne aucune justification à la conduite d’Ésaü : il a eu tort, il a été rejeté.
Malgré tout, Ésaü ne semble pas mal tourner. Il a prospéré ; il y a eu des rois en Édom avant qu’un roi ne régnât sur Israël (Gen. 36:31) ; il y a eu des chefs (Gen. 36:40). Mais la Parole rappelle qu’Ésaü, c’est Édom : ce nom d’Édom lie pour toujours Ésaü au souvenir de son apostasie. Il n’a pas mal tourné, selon les gens de ce monde, mais la malédiction est liée à sa personne. L’Écriture parle d’Édom comme un peuple maudit. Selon les prophéties, Édom ne sera jamais restauré. Abdias dénonce l’orgueil d’Édom : « L’arrogance de ton coeur t’a séduit… tu t’élèves comme l’aigle,… je te ferai descendre de là » (Abd. 3-4). La colère de Dieu contre Ésaü ne s’apaisera que par un jugement total et définitif.
Ésaü a maudit Israël quand Jérusalem, jugée par Dieu pour sa propre infidélité, a été abattue et foulée aux pieds. Il a été témoin de cette ruine et s’en est réjoui. Dieu le lui rappelle et lui dit avec une insistance singulière : « Tu n’aurais pas dû… ; tu n’aurais pas dû… ». La haine d’Ésaü contre le peuple de Dieu, contre tout ce qui est de Dieu, s’est montrée tout au long de l’histoire d’Édom ; cette haine ne s’est jamais éteinte ; Ésaü a méprisé Dieu, haï Dieu ; Abdias nous en raconte les faits. Mais, ajoute ce prophète, Jérusalem sera restaurée à la fin et Ésaü sera totalement détruit. Malachie nous le dit aussi. Après le retour de la captivité de Babylone, le résidu juif n’était pas en brillant état, il était faible et misérable ; il discutait en remettant en question l’amour de Dieu pour lui. Et pourtant, après qu’Ésaü eut révélé l’état de son coeur par sa propre histoire, Dieu peut dire : « J’ai aimé Jacob ; et j’ai haï Ésaü » (Mal. 1:3), parce qu’Ésaü me haïssait. À la fin des jours, le Seigneur foulera les peuples dans le pays d’Édom, et Édom fera partie de ce jugement terrible et sanglant. « Qui est celui-ci, qui vient d’Édom, de Botsra, avec des habits teints en rouge ? » (És. 63:1). Christ sera seul à fouler le pressoir et le sang rejaillira sur ses vêtements.
Que Dieu nous garde, en nous et parmi nous, de toute racine d’amertume qui trouble et qui souille ! Qu’il nous donne de l’aimer et de le lui montrer !