ÉTUDES SUR LA PAROLE DE DIEU :

ÉPITRE aux PHILIPPIENS

par J.-N. Darby


Tables des matières :

1 - Chapitre 1

2 - Chapitre 2

3 - Chapitre 3

4 - Chapitre 4


Dans l’épître aux Philippiens nous trouvons beaucoup plus d’expérience chrétienne que dans la plupart des autres épîtres : les exercices du coeur y sont aussi développés davantage. C’est en réalité l’expérience chrétienne normale. La doctrine et la pratique se retrouvent dans toutes les épîtres ; mais à la seule exception de la seconde à Timothée, qui a un autre caractère, aucune épître ne renferme autant que celle-ci l’expression de l’expérience que fait le chrétien dans sa vie de labeur ; aucune ne présente comme celle-ci les ressources qui sont ouvertes au chrétien pour traverser cette vie, et les motifs qui doivent le gouverner dans sa course. On peut même dire que cette épître nous présente l’expérience de la vie chrétienne dans son expression la plus élevée et la plus parfaite — disons plutôt, dans son état normal sous la puissance de l’Esprit de Dieu. Dieu a daigné nous fournir ce magnifique tableau, comme ailleurs il nous présente les vérités qui nous éclairent et les règles d’après lesquelles nous devons nous diriger.

L’occasion s’en offrait tout naturellement. Paul était en prison, et les Philippiens qui lui étaient très chers et qui, au commencement de ses travaux, lui avaient témoigné leur affection par des dons semblables, venaient encore de lui envoyer des secours par Épaphrodite dans un moment où il se trouvait, déjà depuis quelque temps à ce qu’il parait, dans le besoin. Une prison, le besoin, l’Assemblée de Dieu privée de ses soins vigilants, l’expression de l’affection qui pensait à lui dans ses nécessités, quoiqu’il fût loin, n’étaient-ce pas là les circonstances les plus propres à ouvrir le coeur de l’apôtre et à amener l’expression des sentiments de confiance en Dieu dont il était animé ? N’y avait-il pas là tout ce qu’il fallait pour l’amener à exprimer ce qu’il sentait à l’égard de l’Assemblée, quand elle se trouvait privée de l’appui des soins apostoliques et qu’elle devait se confier directement en Dieu Lui-même. Or il était tout naturel que Paul épanchât son coeur dans le sein de ses chers Philippiens qui venaient de lui donner ce témoignage de leur affection ; c’est pourquoi il parle plus d’une fois de la communion des Philippiens avec l’Évangile, c’est-à-dire de la part qu’ils prenaient aux travaux, aux peines, aux nécessités, dont la prédication de l’Évangile était l’occasion pour ceux qui s’y vouaient. Leurs coeurs s’associaient à l’Évangile, comme font ceux dont parle le Seigneur, qui reçoivent un prophète en qualité de prophète.

1 - Chapitre 1

Les diverses circonstances que nous venons de rappeler mettent l’apôtre dans un rapport d’intimité particulière avec cette assemblée de Philippes, et elles sont devenues l’occasion de cette épître, que Paul et Timothée (qui avait accompagné l’apôtre dans ses travaux en Macédoine, en vrai fils de Paul dans la foi et dans l’oeuvre) adressent aux fidèles et à ceux qui avaient les charges dans cette assemblée particulière. Ce n’est pas ici une épître qui plane à la hauteur des conseils de Dieu, comme le fait celle aux Éphésiens, ni qui règle tout l’ordre qui convient aux chrétiens où qu’ils soient, comme le font les deux épîtres aux Corinthiens ; ce n’est pas non plus une épître qui pose les fondements des rapports de toute âme quelconque avec Dieu, comme celle aux Romains. La lettre que Paul et Timothée adressent aux Philippiens n’était pas destinée, comme d’autres que notre apôtre a écrites, à mettre les chrétiens en garde contre les erreurs qui se glissaient au milieu d’eux ; elle se place sur le terrain de l’intimité précieuse, de l’affection ordinaire des chrétiens entre eux, mais de cette affection comme l’éprouvait le coeur d’un Paul animé et dirigé par le Saint Esprit. C’est pourquoi aussi nous trouvons mentionnées les charges ordinaires qui existaient dans l’intérieur d’une assemblée, les surveillants et les serviteurs, charges d’autant plus importantes à rappeler que les soins immédiats de l’apôtre étaient devenus impossibles. L’absence de ces soins fait ici la base des instructions de l’apôtre, ce qui donne une importance particulière à cette épître.

L’affection des Philippiens, qui avait trouvé son expression dans l’envoi de secours à l’apôtre, rappelait à celui-ci l’esprit que les chrétiens de Philippes avaient montré dans tous les temps : ils s’étaient associés de coeur aux travaux et aux peines de l’Évangile. Or cette pensée conduit l’apôtre plus haut, à ce qui domine le courant d’idées de l’épître : pensée des plus précieuses pour nous ! Qui est-ce qui avait opéré dans les Philippiens cet esprit d’amour et de dévouement aux intérêts de l’Évangile ? C’était bien le Dieu de la bonne nouvelle et de l’amour ; et cela donnait une entière garantie que Celui qui avait commencé la bonne oeuvre, l’accomplirait jusqu’à la journée de Christ. Douce pensée, maintenant que nous n’avons plus l’apôtre, que nous n’avons plus les surveillants et les serviteurs, comme les Philippiens les avaient dans ce temps-là. Dieu ne peut nous être ôté ; la vraie et vivante source de toute bénédiction nous reste, immuable et élevée au-dessus des faiblesses et des fautes mêmes qui privent les chrétiens de toute ressource intermédiaire ! L’apôtre avait vu Dieu agissant dans les Philippiens : les fruits disaient quelle était la source de la bénédiction ; dès lors, il comptait sur la perpétuité de la bénédiction dont ils devaient jouir. Mais il faut de la foi pour tirer ces conséquences. L’amour chrétien est clairvoyant et plein de confiance à l’égard de ses objets, parce que Dieu Lui-même et l’énergie de sa grâce sont dans cet amour.

Pour en revenir au principe qui inspire de la confiance à l’apôtre, il est le même pour l’Assemblée de Dieu : elle peut bien perdre beaucoup quant aux moyens extérieurs et quant à ces manifestations de la présence de Dieu qui tiennent à la responsabilité de l’homme, mais ce qui est essentiel dans la grâce de Dieu ne peut être perdu : la foi peut toujours compter sur cela. Ce sont les fruits de la grâce au milieu des saints qui inspirent cette confiance à l’apôtre, ainsi qu’en Héb. 6 : 9, 10 ; et 1 Thess. 1 : 3, 4. Il comptait bien, en 1 Cor. 1: 8, et dans les Galates, sur la fidélité de Christ, malgré beaucoup de choses pénibles. La fidélité du Seigneur l’encourageait à l’égard des chrétiens, dont autrement l’état donnait lieu à de grandes angoisses. Ici, assurément, au milieu de circonstances certainement bien plus heureuses, la marche même des chrétiens conduit l’apôtre à la source de sa confiance à leur égard. Il se souvient avec affection et avec tendresse de quelle manière ils s’étaient comportés envers lui en tout temps, et ce souvenir se transforme en souhait que le Dieu qui avait opéré ces choses, produisît, pour leur propre bénédiction, les fruits parfaits et abondants de cet amour. Il leur ouvre aussi son coeur tout entier. Les Philippiens prenaient part à l’oeuvre de la grâce de Dieu en lui, par la même grâce qui agissait en eux à son égard, en produisant une affection qui s’identifiait avec lui et son oeuvre ; aussi le coeur de l’apôtre se tournait vers eux en leur rendant avec effusion l’affection qu’ils lui avaient témoignée et en montrant combien le désir de son coeur se portait vers eux. Dieu qui était la source de ces sentiments et à qui Paul présentait tout ce qui se passait dans son coeur, ce même Dieu qui agissait dans les Philippiens, était témoin entre eux (maintenant que Paul ne pouvait pas donner, par son travail au milieu d’eux, d’autre preuve de son affection) combien il les désirait tous. Il sentait leur amour, mais il désirait de plus que non seulement cet amour fût cordial et actif, mais qu’il fût dirigé aussi par la sagesse et par l’intelligence données de Dieu, par un discernement du bien et du mal selon Dieu, fruit de la puissance de son Esprit, de sorte qu’en agissant en amour, ils marchassent aussi selon cette sagesse, et comprissent ce qui, dans ce monde de ténèbres, était vraiment selon les perfections et selon la lumière divines, afin qu’ils fussent sans reproche jusqu’à la journée de Christ. Combien ceci est différent de la froideur avec laquelle bien des chrétiens se contentent d’éviter des péchés positifs ! Le désir sincère d’atteindre à toutes les excellences et à toute la ressemblance de Christ que la lumière divine peut nous faire apercevoir est ce qui caractérise la vie de Christ en nous.

Déjà les fruits montraient que Dieu était avec eux : et il accomplira l’oeuvre jusqu’au bout. Mais Paul désirait que les Philippiens marchassent tout le long du chemin selon la lumière donnée de Dieu, de sorte que lorsqu’ils seraient au terme de la route, il n’y eût rien qu’on pût leur reprocher, mais qu’au contraire, débarrassés de tout ce qui pourrait les détourner du droit chemin ou les affaiblir, ils abondassent dans les fruits de la justice qui sont par Jésus Christ à la gloire et à la louange de Dieu. Beau tableau pratique de l’état normal du chrétien dans sa marche journalière, dans son chemin vers le but ; car, souvenons-nous-en, dans l’épître aux Philippiens, nous sommes toujours sur le chemin, vers notre repos céleste, dans lequel la rédemption nous a placés.

Telle est l’introduction de cette épître. Après les souhaits de son coeur que l’apôtre, comptant sur leur affection, fait pour les saints de Philippes, il parle de ses liens, auxquels ils avaient pensé, mais il en parle en rapport avec Christ et l’Évangile qu’il avait à coeur par-dessus tout. Mais avant de quitter l’introduction et de passer au sujet même de l’épître, je désire faire remarquer les pensées qui donnent lieu aux sentiments exprimés ici.

Il y a trois grands éléments qui impriment leur caractère sur cette épître.

En premier lieu, elle parle du pèlerinage du chrétien dans le désert, et elle considère le salut comme un résultat à obtenir à la fin du trajet. La rédemption accomplie par Christ est bien posée comme base de ce pèlerinage, ainsi qu’elle l’a été pour Israël à son entrée dans le désert ; mais le sujet propre de l’épître, c’est notre présentation devant Dieu ressuscités et glorifiés, lorsque nous avons remporté la victoire sur toutes les difficultés : — et c’est ce qui est ici appelé le salut.

En second lieu, la position de l’assemblée est caractérisée par l’absence de l’apôtre, de sorte que l’assemblée a dû soutenir elle-même le combat : elle devait vaincre, au lieu de jouir de la victoire que remportait l’apôtre sur la puissance de l’Ennemi quand il était avec eux et pouvait se faire faible avec chaque faible.

Enfin, en troisième lieu, la vérité importante dont nous avons déjà parlé est mise en évidence, savoir que, dans ces circonstances, l’assemblée était rejetée immédiatement sur Dieu, ressource inépuisable de grâce et de force pour elle, dont elle devait profiter directement par la foi, ressource qui ne pouvait jamais lui faire défaut (*).

(*) Nous trouverons ici tout le cours d’une vie qui était l’expression de la puissance de l’Esprit de Dieu manifestée dans cette vie. C’est pourquoi le péché, c’est-à-dire la chair qui produit le mal en nous, n’est nullement mentionné dans cette épître. Nous y voyons les manifestations et les traits de la vie de Christ ; car si nous vivons par l’Esprit, nous devrions marcher par l’Esprit. Nous trouvons la grâce déployée dans la vie chrétienne (chap. 2), l’énergie de la vie chrétienne (chap. 3) et sa supériorité sur toutes les circonstances (chap. 4). Dans le premier chapitre, l’apôtre, comme c’était naturel, ouvre davantage son coeur quant à ses circonstances présentes et ses sentiments du moment. L’exhortation commence au chapitre 3. Toutefois, même au chapitre 1er, nous trouvons l’apôtre entièrement au-dessus des circonstances par la puissance de la vie spirituelle.

Mais reprenons la considération du texte par le verset 12 qui commence proprement l’épître, à la suite de l’introduction. Paul était prisonnier à Rome. L’Ennemi paraissait avoir remporté une grande victoire en restreignant ainsi l’activité de l’apôtre ; mais par la puissance de Dieu qui ordonne tout et qui agissait en Paul, les ruses même de l’Adversaire tournaient à l’avancement de l’Évangile. Premièrement, l’emprisonnement de l’apôtre faisait connaître l’Évangile là où autrement on n’en eût pas entendu parler, dans les hautes régions à Rome ; et beaucoup d’autres frères, rassurés quant à sa position (*), s’enhardissaient pour annoncer l’Évangile sans crainte. Mais cette même absence de l’apôtre se faisait sentir d’une autre manière : plusieurs de ceux qui, lorsqu’ils se trouvaient en présence de sa puissance et de ses dons, étaient nécessairement des personnes insignifiantes et sans force, pouvaient se donner quelque importance lorsque dans les voies de Dieu, insondables mais parfaites, ce puissant instrument de sa grâce était mis de côté ; ils pouvaient espérer de briller et d’attirer l’attention quand les rayons de cette lumière resplendissante étaient interceptés par les murs d’une prison. Jaloux, mais cachés lorsqu’il était présent, ces hommes profitaient de son absence pour se mettre en activité : faux frères ou chrétiens jaloux, ils profitaient de l’absence de l’apôtre pour tâcher de nuire à son autorité dans l’assemblée et à son bonheur. Ils ne faisaient qu’ajouter à cette autorité et à ce bonheur : Dieu était avec son serviteur, et le désir pur de la proclamation de la bonne nouvelle de Christ, dont il sentait profondément toute la valeur et qu’il désirait avant tout, quel que fût le moyen employé, tenait chez lui la place de la recherche de soi-même qui animait ces tristes prédicateurs de la vérité.

(*) Dans la première édition j’avais pris ceci comme étant l’effet de l’emprisonnement de l’apôtre en stimulant la foi de ceux qui avaient été inactifs lorsque lui était actif. Tel serait le sens de la version anglaise (« encouragés par mes liens »), et c’est là un vrai principe. Mais il semble que la force des mots soit : « ayant pris plutôt confiance quant à mes liens ». Ils couraient le danger d’avoir honte de lui, comme s’il était un malfaiteur.

Déjà ici l’apôtre, dans ce qui le regarde individuellement, trouve sa ressource dans l’opération de Dieu, indépendamment de l’ordre spirituel de sa maison, à l’égard des moyens qu’il emploie. L’état normal de l’Assemblée c’est que l’Esprit de Dieu agit dans les membres du corps, et dans chaque membre à sa place, pour la manifestation de l’unité du corps et de l’énergie de ses membres, exercée mutuellement pour l’avantage l’un de l’autre. Christ, ayant vaincu Satan, remplit de son propre Esprit ceux qu’il a délivrés de la puissance de cet ennemi, afin qu’ils montrent à la fois la puissance de Dieu et la réalité de leur délivrance de la puissance de l’Ennemi, et cela dans une marche qui, étant l’expression des pensées et de l’énergie de Dieu Lui-même, ne laisse plus aucune place pour les pensées et l’énergie de l’Adversaire. Les chrétiens forment l’armée et le témoignage de Dieu contre l’Ennemi dans ce monde. Mais alors, chaque membre, depuis l’apôtre jusqu’au plus faible chrétien, agit efficacement, chacun à sa place : dans un tel corps, la puissance de Satan ne trouve aucun lieu ; le dehors répond au-dedans et à l’oeuvre de Christ. Celui qui est en eux est plus grand que celui qui est dans le monde. Mais pour cela, il faut partout de la puissance et l’oeil net. Il est un autre état de choses, dans lequel, quoique tout ne soit pas en activité, à sa place, selon la mesure du don de Christ, l’énergie réparatrice de l’Esprit, dans un instrument tel que l’apôtre, défend l’Assemblée, ou la remet dans son état normal, quand elle a partiellement failli. L’épître aux Éphésiens d’un côté, et celles aux Corinthiens et aux Galates de l’autre, nous présentent ces deux phases de l’histoire de l’Assemblée.

L’épître aux Philippiens traite, mais par la plume d’un apôtre divinement inspiré, d’un état de choses où cette dernière ressource venait à manquer. L’apôtre ne pouvait pas travailler de la même manière qu’auparavant, mais il pouvait nous donner le coup d’oeil de l’Esprit sur l’état de l’Assemblée, lorsque, selon la sagesse de Dieu, celle-ci était privée de ces énergies normales : elle ne pouvait l’être de Dieu. Sans doute, l’Assemblée ne s’était pas alors éloignée de son état normal comme elle l’a fait maintenant ; mais le mal germait déjà. Tous cherchent leurs propres intérêts, dit l’apôtre, non pas ceux de Jésus Christ ; et Dieu a permis qu’il en fût ainsi du vivant des apôtres, afin que nous eussions la révélation de ses pensées à l’égard d’un état semblable et que nous fussions dirigés vers les véritables ressources de sa grâce dans ces circonstances.

L’apôtre devait d’abord faire lui-même l’expérience de cette vérité. Les liens qui l’unissaient à l’Assemblée et à l’oeuvre de l’Évangile étaient les plus forts qui existent sur la terre, mais il fallait qu’il remît l’Assemblée et l’Évangile au Dieu à qui ils appartiennent. Effort pénible, mais qui rend l’obéissance, la confiance, la netteté de l’oeil et le renoncement à soi, parfaits dans le coeur, c’est-à-dire parfaits selon la mesure de l’opération de la foi. Toutefois la douleur causée par cet effort trahit l’incapacité de l’homme à maintenir l’oeuvre de Dieu à sa hauteur propre. Mais si tout ceci arrive, c’est afin que Dieu ait toute la gloire de l’oeuvre ; et il devait en être ainsi, afin que ce qu’est la créature fût, sous tous les rapports, manifesté selon la vérité. Il est extrêmement précieux de voir comment ici et en 2 Timothée, là où il y a de la foi, le déclin de la vie individuelle et de l’énergie dans l’Assemblée a pour effet de faire se développer plus pleinement que partout ailleurs, d’un côté, la grâce dans la personne du fidèle et, de l’autre, l’énergie dans le ministère. Il en est réellement toujours ainsi. C’est aux jours des Pharaon, des Saül et des Achab que l’on trouve les Moïse, les David et les Élie.

L’apôtre ne pouvait rien faire : il devait voir prêcher l’Évangile sans lui. Quelques-uns le prêchaient par un esprit d’envie et de débat, d’autres par amour. Ceux-ci, encouragés quant aux liens de l’apôtre, voulaient le soulager en continuant son oeuvre. Quoi qu’il en fût, Christ était prêché, et les motifs qui encourageaient les prédicateurs se perdaient pour l’apôtre dans la contemplation de cet immense fait qu’un Sauveur, le Libérateur envoyé de Dieu, était annoncé au monde. Christ, et même les âmes, étaient plus précieux pour Paul que l’oeuvre, dans la mesure où elle était son oeuvre ; Dieu travaillait dans l’oeuvre ; et ainsi ce serait pour le triomphe de Paul qui s’unissait aux desseins de Dieu (*). L’apôtre comprenait le grand combat qui se livrait entre Christ (dans ses membres) et l’Ennemi : et si ce dernier semblait avoir remporté une victoire en jetant Paul en prison, Dieu se servait de cette circonstance même pour avancer l’oeuvre de Christ par l’Évangile, et pour remporter ainsi en réalité de nouvelles victoires sur Satan, victoires auxquelles Paul était associé, parce qu’il était établi pour la défense de cet Évangile. Ainsi, tout ceci tournait à salut pour Paul, confirmé qu’il était dans sa foi par ces voies d’un Dieu fidèle, qui dirigeait encore davantage sur Lui les yeux de son fidèle serviteur. Soutenu par les prières des autres et le secours de l’Esprit de Jésus Christ, au lieu d’être abattu et terrifié par l’Ennemi, Paul se glorifiait toujours davantage dans la sûre victoire de Christ qui était la sienne. Aussi exprime-t-il la confiance inébranlable qu’en rien il ne sera confus, mais qu’il lui sera donné d’user de toute hardiesse et que Christ sera glorifié en lui, soit par sa vie, soit par sa mort : et la mort était devant ses yeux. Appelé à comparaître devant César, sa vie pouvait lui être ôtée par le jugement de l’empereur ; humainement parlant, son sort était tout à fait incertain : plusieurs passages de notre épître font allusion à ce fait : chap. 1: 22, 30 ; 2: 17 ; 3: 10. Mais, vivant ou mourant, Paul avait maintenant ses regards dirigés plus sur Christ que sur l’oeuvre elle-même, quelque grande place que cette oeuvre pût avoir dans la pensée d’une vie qui s’exprimait dans un seul mot : « Christ ! » Vivre était, pour lui — non pas l’oeuvre en elle-même, ni seulement le fait que les fidèles tinssent ferme dans l’Évangile, bien que ceci ne pût être séparé d’avec la pensée de Christ, parce qu’ils étaient membres de son corps — pour lui, vivre était « Christ » ; mourir était un gain, car, en mourant, il serait avec Christ.

(*) Il y a en ceci un profond bonheur pour la foi. Mais il faut alors que le serviteur ait fait de l’oeuvre sa vie même. « Pour moi, vivre c’est Christ ». Dans ce cas, si l’oeuvre prospère, il prospère ; si Christ est glorifié, il est content en lui-même, même si le Seigneur l’a mis de côté.

Tel était l’effet purifiant des voies de Dieu, qui avaient fait passer l’apôtre par le creuset, terrible pour lui, d’être séparé depuis des années, peut-être depuis quatre ans, de son oeuvre pour le Seigneur. Le Seigneur lui-même avait remplacé l’oeuvre — pour autant du moins qu’elle se rattachait à Paul personnellement — et l’oeuvre était confiée au Seigneur Lui-même. Le fait qu’il était si absorbé par l’oeuvre peut avoir contribué à ce qui conduisit à son emprisonnement ; car c’est la pensée de Christ seule qui maintient l’âme en équilibre et met chaque chose à sa vraie place. Dieu a fait que, par cet emprisonnement, Christ est devenu tout pour l’apôtre, non que l’oeuvre eût perdu son intérêt pour lui, mais Christ a seul la première place, et Paul voit tout et l’oeuvre même, en Lui.

Quelle consolation pour nous, lorsque nous sentons peut-être que notre faiblesse a été manifestée et que nous n’avons pas su profiter de la puissance de Dieu dans notre service ; quelle consolation, dis-je, se trouve pour nous dans la certitude que Celui qui seul a le droit d’être glorifié ne fait jamais défaut !

Pour Paul, Christ était son tout. C’était donc un gain évident pour lui de mourir, car ainsi il serait avec Christ. Toutefois il valait la peine de vivre (car c’est là la force du commencement du verset 21), puisque vivre c’était Christ et le service de Christ : et il ne savait que choisir. En mourant, l’apôtre gagnait Christ pour lui-même, ce qui était de beaucoup meilleur. En vivant, il servait Christ ; il avait davantage quant à l’oeuvre, puisque vivre c’était Christ, et la mort y mettrait un terme. Ainsi il était pressé des deux côtés ; mais il avait appris à s’oublier lui-même en Christ, et il voyait Christ parfaitement occupé de l’Assemblée et selon la parfaite sagesse. C’est ce qui décidait pour lui la question ; car ainsi instruit de Dieu, et ne sachant que choisir, Paul disparaît à ses propres yeux, et le besoin seul de l’Assemblée, selon la pensée de Christ, reste devant lui. Il était avantageux pour l’Assemblée, pour une seule assemblée même, qu’il restât ; ainsi il resterait. Et voyez quelle paix donne au serviteur de Dieu ce regard vers Christ qui a détruit l’égoïsme à l’égard de l’oeuvre. Christ, après tout, a toute-puissance dans le ciel et sur la terre, et il dispose de tout, selon sa volonté : ainsi, sa volonté étant connue (et sa volonté est amour pour l’Assemblée) je peux dire, elle sera faite ! Paul décide sur son propre sort, sans s’inquiéter des dispositions de l’empereur et des circonstances du temps. Christ aime l’Assemblée, c’est un bien pour l’Assemblée que Paul reste : Paul restera donc ! Jusqu’à quel point Christ est tout ici ! Quelle lumière, quel repos qu’un oeil net, qu’un coeur expérimenté dans l’amour du Seigneur ! Combien il est précieux de voir que le moi a en conséquence entièrement disparu, et que l’amour de Christ pour l’Assemblée est ainsi le fondement sur lequel tout repose selon le conseil divin.

Or si Christ est tel pour Paul et pour l’Assemblée, il veut que l’Assemblée soit ce qu’elle doit être pour Christ, et partant pour le coeur de Paul, pour qui Christ est tout. C’est donc vers l’Assemblée que se tourne son coeur. La joie des Philippiens sera abondante par le retour de l’apôtre au milieu d’eux ; seulement, son voeu pour eux, c’est que leur conduite, qu’il vienne ou qu’il ne vienne pas, soit digne de l’Évangile de Christ. Deux choses préoccupaient l’apôtre, soit qu’il vît les chrétiens de Philippes, soit qu’il apprît de leurs nouvelles, savoir la constance et la fermeté dans l’unité de coeur et d’esprit entre eux, et l’absence de crainte à l’égard de l’Ennemi dans le combat qu’ils devaient lui livrer avec la force que cette unité leur donnait. C’est là le témoignage de la présence et de l’opération de l’Esprit dans l’Assemblée quand l’apôtre n’est pas là. Il tient les chrétiens unis ensemble par sa présence : ils n’ont qu’un coeur et qu’un objet ; ils agissent en commun par l’Esprit ; et puisque Dieu est là, la crainte que le méchant esprit et leurs ennemis pouvaient leur inspirer (et c’est là ce qu’il tâche toujours de faire ; comparer 1 Pierre 5: 8), disparaît ; ils marchent selon l’Esprit d’amour, de puissance et de conseil. Leur état devient ainsi un témoignage évident du salut, d’une entière et finale délivrance, puisque dans leur combat avec l’Ennemi ils ne ressentent aucune crainte, la présence de Dieu leur inspirant d’autres pensées. Quant à leurs adversaires, la découverte de l’impuissance de tous leurs efforts leur fait sentir que leurs ressources sont insuffisantes. Bien qu’ils eussent la puissance du monde et de son prince tout entière, ils avaient rencontré une puissance supérieure à la leur — savoir celle de Dieu — et c’est de cette puissance qu’ils étaient les adversaires. Triste conviction pour ceux-ci ; profonde joie pour ceux-là ! Non seulement la délivrance et le salut final des enfants de Dieu étaient ainsi assurés, mais étaient démontrés être le salut et la délivrance de la part de Dieu lui-même. Ainsi le fait que l’Assemblée était dans le combat et l’apôtre absent (lui-même étant aux prises avec toute la force de l’Ennemi) était un don de grâce. Joyeuse pensée ! Il était donné aux saints de souffrir pour Christ aussi bien que de croire en Lui. Ils avaient une précieuse part de plus avec Christ et même pour Christ ; et la communion des saints avec son fidèle serviteur, dans les souffrances pour Lui, les unissait plus intimement en Lui.

Remarquons ici que jusqu’à présent nous avons le témoignage de l’Esprit rendu à une vie qui est supérieure à la chair, et nullement une vie de la chair. L’apôtre n’avait été confus en rien, et il avait toute confiance qu’il ne le serait jamais, mais que Christ serait, comme il l’avait toujours été auparavant, magnifié dans son corps, soit par la vie, soit par la mort. Il ne sait pas s’il doit choisir la vie ou la mort, car dans l’une et dans l’autre il y a une si grande bénédiction ; vivre c’est Christ ; mourir un gain, bien qu’alors le travail prenne fin ; telle est sa confiance en l’amour de Christ pour l’Assemblée, qu’il décide de son cas devant Néron d’après ce que cet amour veut opérer. L’envie et l’esprit de contention contre lui, qui en conduisent d’autres à prêcher Christ, ne feront que produire de victorieux résultats pour lui-même : il est content si Christ est prêché. Cette supériorité à la chair, cette vie si entièrement au-dessus de la chair ne signifie pas que la chair ne soit plus là, ni qu’elle ait changé de nature. Paul avait, comme nous l’apprenons ailleurs, une écharde pour la chair, un ange de Satan pour le souffleter. Mais c’est un glorieux témoignage à la puissance et à l’oeuvre agissante de l’Esprit de Dieu.

2 - Chapitre 2

Mais ceci aussi produisait ses effets. L’apôtre voulait que cette joie des Philippiens fût pleine, et que leur union entre eux fût parfaite ; car son absence avait laissé germer quelques semences de désunion et de malaise. L’amour avait été démontré d’une manière bien douce et bien puissante dans leur envoi à l’apôtre : les consolations en Christ, le soulagement de l’amour, la communion de l’Esprit, les tendres compassions se déployaient dans ce témoignage d’affection et avaient causé à Paul une profonde joie. Il leur demande donc qu’ils rendent cette joie parfaite, par le plein affermissement de ce même lien d’union qui subsistait déjà entre eux : étant d’un même sentiment, pensant à une seule et même chose, ayant un même amour les uns pour les autres, ayant tous une même pensée ; il voudrait que la rivalité et la vaine gloire ne se montrassent en rien. Tel est le voeu de l’apôtre. Lorsqu’il goûte de la joie en pensant à leur amour envers lui, il veut que leur bonheur soit complet dans la perfection de cet amour entre eux : c’est ainsi que son bonheur à lui sera parfait. Belle et touchante affection ! C’est l’amour en lui, qui, sentant l’affection des Philippiens, ne pense qu’à eux. Quelle délicatesse dans la manière dont une bonté de coeur, qui n’aimait pas à faire une répréhension, a su préparer le chemin à ce qui en était réellement une, répréhension que ne pouvait omettre un coeur qui joignait l’amour à l’affection fraternelle !

Or le moyen de cette union entre les saints, le moyen pour le maintien de cet amour se trouvait dans l’anéantissement de soi-même, dans l’humilité, dans l’esprit qui s’abaisse pour servir. C’est ce qui s’était montré parfaitement en Christ, en contraste avec le premier Adam. Celui-ci avait cherché à se rendre semblable à Dieu par un vol, lorsqu’il était en forme d’homme ; il avait cherché à s’élever aux dépens de Dieu, étant en même temps désobéissant jusqu’à la mort. Christ, au contraire, quand il était en forme de Dieu, s’est anéanti par amour, de toute sa gloire extérieure, de la forme de Dieu, et a pris la forme d’un homme, et même quand il a été en forme d’homme, il s’est encore humilié, faisant ainsi un second pas en s’abaissant. Comme Dieu, il s’est anéanti ; comme homme il s’est humilié et est devenu obéissant jusqu’à la mort, à la mort même de la croix. Dieu l’a haut élevé : car celui qui s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé. Amour parfait, glorieuse vérité, précieuse obéissance ! Un homme, par le juste jugement et l’acte de Dieu, s’est élevé à la droite du trône de la majesté divine. Quelle vérité que la personne de Christ ! Quelle vérité que cette descente, et cette ascension par laquelle il remplit toutes choses comme Rédempteur et Seigneur de gloire ! Dieu descendu en amour, l’homme monté dans le ciel selon la justice. En descendant, tout amour, toute obéissance par amour aussi. Maintenant Lui qui a été digne, de toute éternité, quant à sa personne, d’être ainsi à la droite de Dieu, est comme homme élevé par Dieu à sa droite. C’est une justice de Dieu qu’il soit là : et nos coeurs peuvent y prendre part, joyeux dans sa gloire à Lui, joyeux d’y avoir part aussi par la grâce dans notre place à nous.

Son humiliation même est la preuve qu’il est Dieu : Dieu seul pouvait quitter son premier état dans les droits souverains de son amour ; pour une créature quelconque, quitter son premier état c’est péché. Cette humiliation est aussi l’amour parfait. Mais cette preuve de la divinité de sa personne est donnée, cet amour accompli dans le fait qu’il est homme. Quelle place il nous a acquise en Lui-même ! Mais c’est à Lui que l’apôtre pense, non à nous qui sommes les fruits de cette humiliation. Il se réjouit dans la pensée de l’exaltation de Christ. Dieu l’a souverainement élevé et Lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, de sorte que tout être dans les cieux et sur la terre, et même tout être infernal, doit fléchir les genoux devant cet homme exalté, et toute langue confesser que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

On remarquera que c’est la seigneurie de Jésus qui est présentée ici, non sa divinité en elle-même, bien que sa divinité soit le point de départ. En effet, tout a son origine dans la divinité de sa personne : l’amour, l’anéantissement, l’humiliation, la merveilleuse condescendance. Rien de tout ceci n’aurait pu être, ni n’aurait eu sa valeur sans cela ; mais c’est comme Seigneur, dans sa personne complète, selon la position qu’il a prise comme homme, qu’il est envisagé ici. C’est Celui qui s’est humilié, que Dieu (lorsqu’il est descendu le plus bas possible) a élevé. C’est de Jésus qui pouvait sans s’élever être égal à Dieu, mais qui s’est anéanti jusqu’à la mort, que l’apôtre parle : de Jésus, Seigneur de tout, et qui, ainsi élevé, homme, sera reconnu de toute la création d’un bout à l’autre, comme Seigneur, à la gloire de Dieu le Père (*).

(*) Remarquez aussi que ce n’est pas à l’égard de ce qu’il a souffert, comme effet de sa soumission à la volonté de Dieu dans la position qu’il a prise, que Christ nous est présenté ici, comme modèle à imiter. C’est de son humiliation volontaire qu’il s’agit, du fait que, par amour, il a pris la dernière place — la plus basse — dans laquelle nous sommes appelés à le suivre. L’amour sert, l’amour s’humilie, prend volontairement la position la plus vile (la plus vile selon l’orgueil de l’homme), pour servir, et y trouve ses délices. Christ a agi par amour, Christ a voulu servir, Christ a voulu prendre la place la plus basse — Lui qui pouvait s’humilier — et nous… ?

Le coeur de l’apôtre s’épanouit toujours quand il parle du Seigneur Jésus ; mais il se tourne maintenant vers les objets de sa sollicitude, et comme il avait parlé de l’anéantissement de soi-même et de l’humiliation de Christ comme moyen de produire l’union en ôtant toute occasion à la rivalité charnelle, il avait aussi été amené à parler de l’obéissance de Christ, en contraste avec le premier Adam et la chair. Il applique maintenant ce principe de patiente humilité à l’instruction des Philippiens : « Ainsi donc, dit-il, mes bien-aimés, de même que vous avez toujours obéi » — et ici l’effet de son absence, de son éloignement de l’oeuvre est introduit — « non seulement comme en ma présence, mais beaucoup plus maintenant en mon absence, travaillez à votre propre salut avec crainte et tremblement : car » ajoute-t-il, « c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire » (vers. 12, 13). C’est-à-dire que pendant que l’apôtre avait été au milieu des Philippiens, il avait travaillé à l’oeuvre de leur salut ; maintenant ils étaient eux-mêmes aux prises avec l’Ennemi, sans le secours de sa présence et de son énergie spirituelle ; mais Dieu lui-même travaillait en eux. Ils devaient travailler d’autant plus sérieusement qu’ils se trouvaient dans un tel combat, Dieu Lui-même étant engagé pour eux, en tant qu’il agissait en eux pour ce combat, et qu’eux-mêmes ils se trouvaient immédiatement aux prises avec la puissance de l’Ennemi. Ce n’était pas le moment pour eux de se vanter de leurs petits dons, à cause de l’absence de l’apôtre qui les jetait auparavant dans l’ombre, ni celui d’être en lutte les uns avec les autres. D’ailleurs, si les Philippiens étaient privés de Paul, ils ne l’étaient pas de Dieu : Dieu Lui-même agissait en eux. C’est le grand principe et la grande consolation de l’épître. Les chrétiens, privés des secours puissants de l’apôtre, sont rejetés plus immédiatement sur Dieu. L’apôtre, séparé de l’assemblée, trouve lui-même ses propres consolations en Dieu, et remet l’assemblée, privée de ses soins personnels, à Dieu Lui-même, auprès duquel il avait trouvé ces consolations. Il est bon de remarquer soigneusement ici que c’est tout l’opposé d’une exhortation à travailler nous-mêmes en contraste avec la puissance opérante de Dieu. « Votre propre » est en contraste avec Paul en son absence, lui qui avait travaillé pour les Philippiens, parce que Dieu opérait en eux le vouloir et le faire. Ils avaient à travailler parce que, si Paul était absent, Dieu opérait en eux. J’ai déjà fait remarquer que partout dans cette épître le salut et toute bénédiction sont considérés comme étant au bout de la course, même la manifestation de la justice du chrétien (chap. 3: 9). Ce passage en est un exemple. Il y a deux manières dont le chrétien est envisagé dans le Nouveau Testament. En Christ — ici aucun progrès à faire, rien n’est en question : il est accepté en Lui — état complet, parfait, actuel. Mais le chrétien est aussi un pèlerin sur la terre, ayant à atteindre le but ; il est toujours vu ainsi dans l’épître aux Philippiens. Ceci donne occasion à toute espèce d’exhortations, d’avertissements et de « si ». C’est ainsi qu’il apprend l’obéissance et la dépendance — les deux caractères du nouvel homme. Mais en outre, il est rejeté sur la fidélité sûre et infaillible de Dieu pour lui faire tout traverser jusqu’à la fin, et il doit compter là-dessus. Voir 1 Cor. 1: 8, que je cite parce que les Corinthiens étaient dans un très mauvais état ; mais il y a un grand nombre d’autres passages.

La diligence et le sérieux doivent caractériser la marche des chrétiens dans des circonstances comme celles-ci, où les rapports immédiats avec Dieu et le combat personnel avec l’Ennemi se réalisent.

L’apôtre revient ensuite à l’esprit de douceur et de paix, dans lequel les fruits de justice se sèment. « Faites toutes choses, dit-il, sans murmures et sans raisonnements, afin que vous soyez sans reproche et purs, des enfants de Dieu irréprochables, au milieu d’une génération tortue et perverse, parmi laquelle vous reluisez comme des luminaires dans le monde, présentant la parole de vie » (vers. 14-16), passage très frappant, car on trouvera que dans chaque membre de phrase il décrit exactement ce qu’était Christ. Quelles que soient les circonstances dans lesquelles l’Assemblée se trouve, tels devraient toujours être, quant à elle, son état et sa marche ; la grâce qui suffit pour cela est toujours là en Christ.

L’unité d’esprit entre eux, par la grâce, et une marche selon Dieu afin qu’ils fussent comme des luminaires célestes au milieu des ténèbres morales de ce monde, présentant toujours et mettant ainsi en évidence la parole de vie — tel est le souhait de l’apôtre. Ils devaient donner ainsi, par la constance et l’effet pratique de leur foi, la preuve que l’apôtre n’avait ni couru ni travaillé en vain ; et ils seraient ainsi eux-mêmes sa gloire au jour de Christ. Oh ! si l’Assemblée eût continué à marcher dans cette voie ! Mais quoi qu’il en soit, Christ sera glorifié. L’apôtre unit ainsi son oeuvre et sa récompense au jour de Christ à la bénédiction de l’Assemblée : il ne veut pas être séparé d’elle dans sa mort. Ce lien de coeur et de foi est très touchant. Paul se présente lui-même (c’est-à-dire sa vie) comme pouvant être répandu comme une aspersion sur le sacrifice et le service de la foi des Philippiens. Ceux-ci avaient montré leur dévouement à Christ en pensant même à son serviteur ; et l’apôtre voit leur foi tout entière comme une offrande au Sauveur et à Dieu ; il les considère, eux qui appartiennent à Christ, comme la substance de l’offrande, la chose importante, et se considère lui-même seulement comme l’aspersion — sa vie répandue sur l’offrande. Peut-être sa vie sera-t-elle répandue dans le service de l’Évangile, auquel les Philippiens se consacraient de leur côté, et mettra-t-elle le sceau à cette offrande de leur part, offrande consacrée à Dieu par ce lien sacré qui les unissait à l’apôtre. Paul se réjouit s’il doit en être ainsi, si sa vie est répandue : ce serait le couronnement de son oeuvre pour les gentils ; il veut donc que les Philippiens aussi, dans le même esprit, se réjouissent de la même chose. Leur foi et la sienne, ainsi que leur service commun, ne formaient qu’un seul tout offert à Dieu, et qui Lui était agréable. Or la preuve la plus élevée qui pût en être donnée devait être la source de la joie la plus sacrée. Ce monde n’était pas la scène réelle de ce qui se passait : ce que nous voyons ici en rapport avec l’oeuvre divine n’est que le dehors. L’apôtre parlait le langage de la foi qui voit toujours les choses devant Dieu.

Cependant, bien qu’il remît les Philippiens à Dieu, les soins vigilants de Paul ne discontinuaient pas. Il en est toujours ainsi : l’amour, et la foi qui remet tout à Dieu, ne cessent pas de penser selon Dieu à ce qui Lui est cher. Ainsi Jean, dans sa première épître, au chap. 2, tout en disant que les petits enfants en Christ n’avaient pas besoin qu’on les enseignât, les enseigne néanmoins avec tendresse et avec toute prévoyance. Ici aussi l’apôtre, plein d’une sainte sollicitude pour ces âmes chères à Christ, espère envoyer bientôt Timothée pour savoir quel est leur état. Mais la situation dans laquelle Paul et l’oeuvre de Dieu se trouvent perce partout : Paul envoie Timothée parce qu’il n’a personne d’autre qui pense à eux avec un coeur dans lequel les mêmes sentiments jaillissent de la même source d’amour ; tous cherchaient leurs propres intérêts, et non pas ceux de Jésus Christ (vers. 19-21). Quel exercice pour la foi ! mais quelle occasion pour son exercice !

Toutefois, quant à Timothée, ces chers Philippiens pouvaient le recevoir avec un coeur répondant à la confiance de l’apôtre : ils savaient comment Timothée avait servi Paul dans l’Évangile. Les liens de l’amour, dans l’Évangile, Dieu soit loué, ne sont que plus forts, quand tout se refroidit. Et remarquez que Dieu poursuivait son oeuvre, lorsque tout, quant au témoignage commun de l’Assemblée, manquait par une froideur qui pesait sur le coeur de l’apôtre : car Dieu ne se lasse pas dans son oeuvre. Toutefois, le lien de l’amour ne manque pas non plus entre Paul et les Philippiens : aussitôt qu’il saura la tournure que prendront ses affaires, il leur enverra Timothée ; mais, comme il l’avait dit, il a confiance dans le Seigneur qu’il ira les voir bientôt lui-même.

Mais il y avait aussi Épaphrodite, qui était venu pour apporter à l’apôtre le témoignage d’affection de la part des Philippiens : fidèle instrument et expression de leur amour, Épaphrodite avait hasardé sa propre vie et avait eu à souffrir une dangereuse maladie pour accomplir leur service envers l’apôtre. De tous les côtés jaillit ici ce beau témoignage de l’amour chrétien. Épaphrodite compte tellement sur l’affection des Philippiens qu’il est très inquiet, parce qu’ils avaient appris qu’il était malade. Il est certain de leurs sentiments envers lui — de la place qu’il occupe dans leurs affections. N’en serait-il pas ainsi d’un fils affectueux qui apprendrait qu’on a donné à sa mère des nouvelles de lui, pareilles à celles-ci ? Il se hâterait de communiquer à sa mère son rétablissement pour tranquilliser un coeur dont il connaît l’amour. Telle est l’affection chrétienne, tendre et simple, confiante parce qu’elle est pure et sans soupçon, et parce qu’elle marche dans la lumière de Dieu et avec Lui, ainsi que dans les affections que Christ a consacrées comme homme. L’amour divin, cela n’est pas douteux, s’élève plus haut ; mais l’amour fraternel qui agit dans la présence des hommes, et comme fruit de l’amour divin au milieu d’eux, se déploie ainsi dans la grâce.

L’apôtre répond à cette affection des Philippiens pour Épaphrodite, qui les avait enseignés et avait travaillé dans le Seigneur pour eux (le Saint Esprit en tient compte ici), et il renvoie Épaphrodite en encourageant et en cherchant à nourrir ce sentiment dans les coeurs des Philippiens. Lui-même y prend part, et y introduit la tendresse de Dieu Lui-même. Il aurait eu tristesse sur tristesse, et il en avait beaucoup, si les Philippiens avaient perdu leur cher serviteur et messager par les services que celui-ci leur avait rendus ; mais Dieu avait épargné Épaphrodite, et l’apôtre lui-même. Toutefois, Paul veut que les Philippiens soient complètement rassurés en voyant de nouveau Épaphrodite au milieu d’eux, et qu’ainsi le coeur de l’apôtre, quitte de toute frayeur sur ce point, soit allégé aussi. Quel tableau de prévenances et d’amour mutuel !

Remarquez comment Dieu, selon l’apôtre, prend part à ces tendres compassions mutuelles des chrétiens : ce sont ses compassions, non pas les conseils de son amour ; mais ce sont des compassions dignes de Dieu, et des affections qu’il approuve parmi les hommes. On craint quelquefois ces affections et cette estime pour les ouvriers du Seigneur, et cela d’autant plus que l’Assemblée, en effet, doit se dégager de toute fausse dépendance des hommes ; mais c’est quand, par l’absence de l’apôtre, tout manque de force manifeste et de lien extérieur et organisateur, que l’Esprit de Dieu développe le jeu de ces affections et de ces liens intérieurs entre les chrétiens pour l’instruction de l’Assemblée, comme il reconnaît en même temps tout ce qui reste des débris de la position primitive de celle-ci et de ses liens extérieurs. Il ne les crée pas de nouveau, mais il reconnaît ce qui existe encore : c’est seulement au premier verset de l’épître que l’Esprit en parle — c’est tout ce qu’il fallait — mais il développe largement les liens intérieurs, non pas comme doctrine, mais de fait. Dieu lui-même, l’apôtre, son fidèle Timothée, Épaphrodite le serviteur apprécié des Philippiens, qui leur était si cher, compagnon d’oeuvre de Paul serviteur du Seigneur, les Philippiens eux-mêmes, tous trouvent leur part dans ce précieux et bel enchaînement d’amour. Le déploiement de la grâce dans la vie chrétienne se trouve ainsi développé dans toutes les parties de ce chapitre : la délicatesse de la répréhension de l’apôtre au sujet de l’esprit de division, son envoi de Timothée quand il pourra faire savoir aux Philippiens la tournure que prendront ses affaires, mais l’envoi immédiat d’Épaphrodite parce qu’ils avaient entendu dire qu’il était malade. Ce déploiement de grâce, et cette considération pour les autres, remarquons-le, se lient à un Christ qui s’abaisse Lui-même. Un Christ humble, qui, ayant la forme de Dieu, la laisse pour s’abaisser jusqu’à la mort, c’est là la source de l’humble esprit de grâce ; un Christ élevé, que l’oeil de la foi va chercher dans la gloire est la source de l’énergie qui estime tout comme des ordures afin de le gagner Lui.

3 - Chapitre 3

Après tout, c’est dans le Seigneur Lui-même que les Philippiens devaient se réjouir ; et maintenant l’apôtre les met en garde contre ce qui avait été le ver rongeur de la vie de l’Assemblée et avait produit les fruits pénibles qui jetaient de l’angoisse dans son propre coeur ; nous en voyons aujourd’hui, selon la prophétie de l’apôtre, les conséquences déplorables, conséquences qui doivent encore mûrir pour le jugement de Dieu. Quoi qu’il en soit, le Seigneur ne change pas. « Réjouissez-vous dans le Seigneur », dit Paul : là, en Lui, tout est sûr.

Ce qui pouvait empêcher les Philippiens de se réjouir ainsi est ensuite développé, et en même temps la vraie connaissance de Christ qui nous garantit du mal que l’apôtre a en vue : non pas ici selon la doctrine et la pratique qui tiennent à la haute position de l’union de l’Assemblée avec un Christ glorifié, comme son corps, et selon l’unité qui découle de cette union — c’est le sujet de l’épître aux Éphésiens — ni selon l’urgente nécessité qu’il y a pour les saints de se tenir collés à la Tête, puisque toute la plénitude est en Lui — c’est l’instruction de l’épître aux Colossiens — mais selon le caractère général de l’épître qui nous occupe, le sujet est traité ici en rapport avec les expériences personnelles du chrétien et celles de l’apôtre en particulier. Ici aussi, ainsi que nous l’avons vu dans la partie de l’épître où nous avons trouvé l’expression de ses afflictions individuelles, l’apôtre se trouve sur le chemin qui conduit à la pleine jouissance de l’objet qu’il a appris à connaître, et de l’état que son coeur souhaite. Telle doit être l’expérience des chrétiens, car si, par l’Esprit, je suis uni à la Tête comme membre du corps de Christ, et que je saisisse cette union par la foi, il n’en est pas moins vrai que mon expérience personnelle, bien que cette foi en soit la base, est nécessairement en rapport avec le chemin que je dois suivre pour arriver à la gloire à laquelle cette union me donne droit ; non que les sentiments, réveillés par ce que je rencontre sur le chemin, faussent ou contredisent ma position en Christ, ou détruisent la certitude de mon point de départ ; mais, tout en possédant cette certitude et parce que je la possède, je sais que de fait je n’ai pas atteint le résultat de cette position dans la gloire. Or, dans l’épître qui nous occupe, nous sommes sur le chemin ; nous sommes individualisés dans nos rapports avec Dieu : car les expériences sont toujours individuelles, quoiqu’une partie de ces expériences soit la réalisation pratique de notre union entre nous comme membres de Christ.

Au verset 4 de notre chapitre, Paul reprend son exhortation ; mais il n’éprouve pas d’ennui à le faire, et c’était la sûreté des Philippiens (car le danger existait et son tendre amour était vigilant) : il renouvelle ses avertissements et ses instructions sur le mélange de principes judaïques et de la doctrine d’un Christ glorifié. Introduire ces principes était, en effet, détruire cette doctrine et réintégrer la chair à sa place (or la chair, c’est le péché et l’éloignement de Dieu) ; c’était le premier homme déjà rejeté et condamné, et non pas le second. Mais la chair ne paraît pas ici sous la forme du péché, mais sous forme de la justice, de tout ce qui est respectable et religieux, sous la forme des ordonnances qui avaient le poids vénérable de l’autorité que leur prêtait l’antiquité de leur origine et, si tout le système judaïque n’avait pas été abrogé en Christ, de l’autorité de Dieu Lui-même.

Pour l’apôtre qui connaissait Christ dans le ciel, tout ceci n’était qu’un appât pour entraîner le chrétien loin de Christ et le replacer dans la ruine d’où Christ l’avait tiré — ruine d’autant plus affreuse qu’on abandonnait ainsi un Christ connu et glorifié, et qu’on retournait à ce qui avait été démontré n’avoir aucune valeur à cause de la chair. C’est pourquoi l’apôtre n’épargne ni cette doctrine ni ceux qui l’enseignent.

La gloire qu’il avait vue, ses combats avec les faux docteurs, l’état dans lequel ceux-ci avaient plongé l’Assemblée, Jérusalem et Rome, sa liberté et sa prison — tout lui avait fait acquérir l’expérience de ce que valait le judaïsme pour l’Assemblée de Dieu. Ce sont « des chiens », dit-il, que ces docteurs, de mauvais ouvriers, c’est-à-dire des ouvriers de méchanceté et de malice. Leur circoncision (faite de main) n’était pas la circoncision : Paul la traite avec un profond mépris, et avec des paroles d’une dureté que légitimait son amour pour l’Assemblée (car l’amour est dur pour ce qui, sans conscience, corrompt les objets de cet amour) ; c’était « la concision ».

Quand le mal sans honte et actif pour produire la ruine sous un honteux semblant de religion est manifesté sous son vrai caractère, la douceur est un crime contre les objets de l’amour de Christ. Si nous aimons Christ, le mal, dans nos entretiens avec l’Assemblée, sera dénoncé en ce que nous lui donnerons ouvertement le caractère qu’il voudrait cacher. Agir ainsi est le véritable amour et la fidélité à Christ. Certes l’apôtre n’avait pas manqué de condescendance pour les faibles à cet égard : il avait poussé cette condescendance très loin : sa prison en était un témoignage ; et maintenant l’Assemblée, privée de son énergie et de sa décision spirituelle et pleine d’affection pour le bien, était plus en danger que jamais. L’expérience acquise pendant toute une vie d’activité et la plus grande patience, des réflexions faites pendant quatre années de prison, amenaient ces fortes et pressantes paroles : « Prenez garde aux chiens, prenez garde aux mauvais ouvriers, prenez garde à la concision » (vers. 2). La doctrine de l’épître aux Éphésiens, les exhortations de celle aux Colossiens, l’affection qui a dicté celle aux Philippiens et la dénonciation contenue dans le passage que nous venons de citer datent de la même époque et portent l’empreinte du même amour.

Mais ici, il suffisait de dénoncer ces faux docteurs. Ailleurs, où ils n’étaient pas bien connus, l’apôtre donne des détails, comme nous le voyons dans ses instructions à Timothée, qui devait veiller encore sur l’Assemblée ; ici, il suffisait de donner leur caractère bien connu. Tout ce qui judaïsait, tout ce qui travaillait à mêler la loi et l’Évangile, la confiance dans les ordonnances et l’Esprit, était sans honte, malfaisant et méprisable. Mais l’apôtre s’occupe plutôt de ce qui était la puissance qui en délivrait. « Nous sommes la circoncision », c’est-à-dire, nous sommes ce qui est vraiment séparé du mal, ce qui est mort au péché et à la chair, nous qui adorons Dieu, non avec les fausses prétentions des ordonnances, mais par la puissance du Saint Esprit, spirituellement ; nous qui nous glorifions en Christ, le Sauveur, et non pas dans la chair, dans laquelle au contraire nous n’avons aucune confiance. Paul met Christ et l’Esprit en contraste avec la chair et soi-même.

Il pouvait bien, s’il le fallait, se vanter en tout ce qui tenait à la chair : tout ce qui était privilège judaïque, il le possédait au plus haut degré ; il avait dépassé tous les autres dans un saint zèle contre les novateurs. Mais une chose avait à elle seule tout changé : Paul avait vu un Christ glorifié. Dès lors, tout ce qu’il possédait selon la chair était pour lui une perte, plaçant quelque chose entre lui et le Christ de sa foi et de son désir, le Christ qu’il connaissait. Et remarquez qu’ici ce ne sont pas les péchés de la chair que Christ expie et abolit qui font le sujet de l’animadversion de Paul : c’est la justice de la chair. La chair n’a point de justice, peut-on dire ; mais lors même que l’apôtre eût possédé quelque justice de la chair (comme de fait il en possédait extérieurement), il ne la voulait pas, parce qu’il en avait vu une meilleure. En Christ qui lui était apparu sur le chemin de Damas, il avait vu la justice divine pour l’homme, et la gloire divine dans l’homme ; il avait vu un Christ glorifié qui reconnaissait les pauvres et faibles membres de l’Assemblée comme étant une partie de Lui-même. Paul ne voulait que cela. L’excellence de la connaissance du Christ Jésus, son Seigneur, avait éclipsé et changé en perte tout ce qui n’était pas cela. Les étoiles, comme les ténèbres, disparaissent devant le soleil. La justice légale, la justice de Paul, tout ce qui le rendait distingué parmi les hommes disparaissait devant la justice de Dieu et la gloire de Christ.

C’était pour Paul un changement complet dans tout son être moral. Son gain était maintenant une perte pour lui ; Christ était devenu son tout. Ce n’était pas le mal qui disparaissait ; mais tout ce qui se rattachait à Paul comme avantage pour la chair disparaissait ; c’était une autre personne que lui-même qui lui était maintenant précieuse. Quel changement profond et radical dans tout l’être moral de l’homme, quand l’homme cesse d’être le centre de sa propre importance, et qu’un autre que lui-même, et qui est digne de l’être, devient le centre de son existence morale — une personne divine, un homme qui avait glorifié Dieu, en qui la gloire de Dieu brillait devant la foi, en qui la justice de Dieu était réalisée, son amour et sa tendresse parfaitement révélés, connus des hommes et exercés envers les hommes ! C’était Celui-là que Paul voulait gagner, posséder — car ici nous sommes toujours sur le chemin, dans le désert — il voulait être trouvé en Lui. « Afin que je gagne Christ », dit-il, « et que je sois trouvé en Lui » (vers. 8, 9). Deux choses étaient devant sa foi, dans ce souhait : avoir la justice de Dieu Lui-même comme sienne (en Christ, il la posséderait), ensuite connaître Christ et la puissance de sa résurrection — car il ne le connaissait que ressuscité — et avoir part, selon cette puissance, aux souffrances de Christ, en étant rendu conforme à sa mort.

C’était dans cette mort que l’amour parfait avait été démontré ; là avait été posée la base parfaite de la justice divine et éternelle ; là, en pratique, le dépouillement de soi était parfait, parfaitement manifesté en Christ, qui était pour l’apôtre l’objet parfait que la foi saisissait et voulait selon le nouvel homme. Christ avait passé par la mort selon la perfection de cette vie dont la puissance était manifestée dans la résurrection.

Paul, ayant vu cette perfection dans la gloire, et étant uni (faible en lui-même) à Christ la source de cette puissance, désirait connaître la puissance de sa résurrection pour pouvoir le suivre dans ses souffrances. Les circonstances tenaient cette souffrance jusqu’à la mort, devant ses yeux ; son coeur ne voyait, ne voulait voir que Christ, pour le suivre dans ce chemin. Si la mort se rencontrait sur le chemin, il n’en serait que d’autant plus semblable à Christ. Peu lui importait ce qu’il lui en coûterait, si en quelque manière que ce fût il pouvait y parvenir. L’énergie du coeur tendait ainsi tout entière vers un unique objet. C’est bien Le connaître tel qu’il a été, lorsqu’il a été complètement mis à l’épreuve, et ainsi connaître tout ce qu’il a été, sa perfection dans l’amour, dans l’obéissance, dans le dévouement, complètement manifestée ; mais le but c’est de le gagner, Lui, tel qu’il est.

Ayant vu le Seigneur dans la gloire, l’apôtre comprenait le chemin qui l’avait conduit là et la perfection de Christ dans ce chemin ; participant de sa vie, il voulait réaliser sa force selon sa gloire pour le suivre, afin d’être là où Jésus était, et dans la gloire avec Lui. C’était agir selon ce que le Seigneur a dit (Jean 12: 23-26). Qui donc comme Paul avait saisi Christ par la grâce de Dieu ? Remarquez ici la différence qu’il y a entre lui et Pierre. Pierre dit de lui-même : « Moi qui suis… témoin des souffrances de Christ, qui aussi ai part à la gloire qui va être révélée » (1 Pierre 5: 1). Paul, témoin de la gloire telle qu’elle est dans le ciel (« tel qu’Il est », dit Jean), désire participer à ses souffrances. Or ces vérités à l’égard de Christ sont le fondement spécial de la place de l’Assemblée, de la marche dans l’Esprit, selon la révélation de la gloire de Christ. C’est ce qui, je n’en doute pas, fait dire à Pierre que dans toutes les épîtres de Paul — qu’il reconnaît, du reste, comme étant une partie des Écritures — il y a des choses difficiles à comprendre. Ceci retire complètement l’homme de tout l’ancien ordre de choses.

Ayant donc vu Christ dans la gloire, il y avait deux choses pour Paul : la justice de Dieu en Christ, et la connaissance de Christ. La première effaçait complètement tout ce dont la chair pouvait se vanter, savoir « ma justice », la justice de l’homme d’après la loi : elle était la justice de Dieu, laquelle est par la foi c’est-à-dire que l’homme n’est pour rien dans celle-ci ; c’est la justice de Dieu : l’homme y a part en croyant, c’est-à-dire par la foi au Christ Jésus. Celui qui croit a sa place devant Dieu en Christ, dans la justice de Dieu Lui-même, justice qu’il a manifestée en élevant Christ dans la gloire, après s’être glorifié en Lui. Quelle position ! Péché, justice humaine, tout ce qui est de l’homme est exclu ; notre place étant selon la perfection dans laquelle Christ, comme homme, a parfaitement glorifié Dieu. Mais cette place est nécessairement la place de Celui qui a accompli cette oeuvre glorieuse. Nous trouvons donc ici la seconde chose : le connaître Lui. Christ, dans sa personne et sa position actuelle (*), est l’expression de notre place : le connaître Lui, c’est connaître notre position. Il est là selon la justice divine. Être là comme Christ y est, c’est ce que la justice divine a obtenu gratuitement mais nécessairement pour l’homme, pour nous, en Christ. Dès lors, ayant vu la justice de Dieu en ce que Christ est là, je désire savoir ce que c’est que d’être là : je veux connaître Christ. Mais, en réalité, ceci embrasse tout ce que Christ a été dans l’accomplissement de l’oeuvre elle-même. La gloire me révèle la force qu’il a employée dans l’oeuvre, et le résultat de l’oeuvre. Ce qu’il a souffert est l’oeuvre dans laquelle il a glorifié Dieu, de sorte que la justice divine a été accomplie par son exaltation comme homme dans la gloire divine. Or ici, amour divin, dévouement complet à la gloire de son Père, obéissance constante et parfaite, tout endurer pour rendre témoignage de l’amour de son Père envers les hommes, patience parfaite, souffrances insondables pour que l’amour fût et possible et parfait pour les pécheurs ; en un mot, tout ce que Christ a été et qui se rattache à sa personne, tout cela fait de cette personne un objet qui gouverne, possède, délivre et fortifie le coeur, par la puissance de sa grâce, agissant dans la nouvelle vie dans laquelle nous sommes unis à Lui par le lien indestructible de l’Esprit : grâce par laquelle il devient le seul objet qui soit devant nos yeux.

(*) Non point, cela va sans dire, quant à sa séance à la droite de Dieu — ceci est personnel.

Ainsi Paul veut avoir ce que Christ peut donner, sa coupe et son baptême, et laisser au Père ce que Christ lui a laissé, la distribution des places dans le royaume ; il ne désire pas, comme Jean et Jacques, être assis à la droite ou à la gauche du Seigneur, c’est-à-dire avoir une bonne place pour lui-même : il désire Christ ; il veut gagner Christ. Il ne suit pas Christ en tremblant comme les disciples dans ce même chapitre 10 de Marc ; il désire souffrir, non pas que la souffrance soit en elle-même l’objet de ses désirs ; mais son désir est d’avoir part aux souffrances de Christ. Aussi, au lieu de s’éloigner, comme le jeune homme dont Marc nous parle dans le même chapitre, parce qu’il possédait beaucoup de ce dont la chair peut jouir, et de s’en tenir, comme lui, à la loi pour acquérir la justice, Paul renonce à cette justice qu’il avait eue comme le jeune homme. Tout ce qu’il avait alors n’était pour lui que des ordures.

Ici donc nous trouvons l’expérience pratique et personnelle du grand principe que l’apôtre a exposé dans d’autres épîtres, savoir que nous avons part à un Christ glorifié. Aussi, Paul, en parlant du résultat quant à lui-même, parle de sa propre résurrection conformément au caractère de la résurrection de Christ. Il ne contemple pas ici ce dont Pierre parle, comme nous l’avons vu, savoir de participer à la gloire qui sera révélée ; il s’attache à ce qui précède la manifestation de la gloire. Paul ayant vu Christ dans la gloire, selon la puissance de sa résurrection, désire avoir part à ce qu’il a vu ainsi ; et c’est la force de cette expression : « si en quelque manière ». Il voulait avoir part à la résurrection d’entre les morts — s’il fallait, comme Christ, passer par la mort pour y arriver, lui aussi voulait passer par la mort, coûte que coûte, quelque pénible qu’elle fût — et la mort était à ce moment devant ses yeux avec ses terreurs humaines : il voulait avoir une pleine part avec Christ.

Or le caractère de la résurrection dont l’apôtre parle est clairement indiqué : ce n’est pas simplement la résurrection des morts, mais une résurrection d’entre les morts. Une telle résurrection signifie qu’on sort, par la faveur et par la puissance de Dieu (pour ce qui regarde Christ, et en ce qui nous concerne, à cause de Christ, en vertu de la justice de Dieu), de l’état du mal dans lequel le péché avait plongé l’homme. On quitte les morts après avoir été mort dans les péchés, et maintenant mort au péché ; on quitte les morts par la faveur, la puissance et la justice de Dieu. Quelle grâce, et quelle différence ! En suivant Christ selon la volonté de Dieu, dans la position où Dieu nous a placés, nous avons part à la résurrection de Christ. Il y a la même abnégation de soi-même à se contenter de la position la plus basse, si Dieu nous l’a donnée, qu’à travailler dans la plus élevée : le secret de l’une et de l’autre est que Christ soit tout et que nous-mêmes nous ne soyons rien. Or, cette pensée d’avoir une part avec Christ est une pensée pleine de paix et de joie, et qui remplit le coeur d’amour pour Lui. Joyeuse et glorieuse espérance qui brille devant nos yeux en Christ, et dans ce précieux Sauveur glorifié ! Objets de la faveur divine en Lui, nous quittons, parce que l’oeil de Dieu est sur nous, parce que nous sommes à Lui, la demeure de la mort qui ne peut pas retenir ceux qui sont siens, parce que la gloire et l’amour de Dieu s’intéressent à nous : Christ est l’exemple et le modèle de notre résurrection. Le principe (Rom. 8) et l’assurance de notre résurrection sont en Lui. Le chemin qui nous y conduit est celui que l’apôtre nous trace ici.

Or, puisque la résurrection et la ressemblance à Christ dans la gloire étaient le but de l’espérance de l’apôtre, il est très évident qu’il n’y était pas parvenu. Si c’était là sa perfection, il ne pouvait pas encore être parfait. Il était, nous l’avons dit, sur le chemin ; mais Christ l’avait pris pour cela, et il courait en avant pour saisir le prix, sachant que Christ l’avait saisi pour qu’il en jouît. Non, je ne pense pas avoir atteint le but, répète-t-il à ses frères ; mais il pouvait dire une chose au moins : il oubliait tout ce qui était derrière lui et courait avec effort dans la direction du but, le gardant toujours en vue, pour obtenir le prix de la vocation de Dieu qui se trouve dans le ciel. Heureux chrétien ! C’est beaucoup que de ne jamais perdre de vue le but céleste, de ne jamais avoir le coeur partagé, de ne penser qu’à une chose, d’agir et de penser toujours selon l’énergie positive qu’opère le Saint Esprit dans le nouvel homme en le dirigeant vers ce seul et céleste but. Ce n’est pas ses péchés proprement que Paul dit ici qu’il oublie ; il oublie son progrès, ses avantages, tout ce qui était déjà derrière lui. Ce qui l’animait n’était pas seulement l’énergie de la première impulsion : il tenait toujours toutes choses pour des ordures, parce qu’il avait toujours Christ en vue. C’est la vraie vie chrétienne. Quel triste moment pour Rébecca si, au milieu du désert avec Éliézer, elle avait oublié Isaac et avait recommencé à penser à Béthuel et à la maison paternelle. S’il en eût été ainsi, qu’aurait-elle eu à faire dans le désert avec Éliézer ?

Telles sont la vraie vie et la position chrétiennes. Comme Israël, bien qu’étant, par le sang, gardé de l’ange du jugement, n’était à sa vraie place qu’au-delà de la mer Rouge, un peuple affranchi, et sur le chemin de Canaan, car il appartenait à Dieu ; ainsi le chrétien, jusqu’à ce qu’il comprenne la nouvelle position que Christ a prise comme ressuscité d’entre les morts, n’est pas spirituellement à sa vraie place, n’est pas parfait, ou homme fait en Christ. Non pas, certes, que lorsqu’il a compris la place que la rédemption lui a donnée, il doive mépriser les autres. S’ils avaient « un autre sentiment », dit l’apôtre, Dieu leur révélerait la plénitude de la vérité ; et tous devaient marcher ensemble, n’ayant qu’une seule pensée, dans les choses auxquelles ils étaient parvenus (vers. 15-16). Là où l’oeil est net, il en sera toujours ainsi ; plusieurs, sans doute, étaient d’un autre esprit ; mais l’apôtre leur fournissait lui-même un exemple. C’était beaucoup dire. Pendant la vie de Jésus, la puissance particulière de cette vie de résurrection ne pouvait être de la même manière ; et de plus, Jésus marchait ici-bas dans la conscience de ce qu’il était avec son Père avant que le monde fût ; de sorte que, bien qu’il endurât la croix à cause de la joie qui était devant Lui, et que sa vie fût le modèle parfait de l’homme céleste, il jouissait d’un repos, d’une communion qui, quoiqu’ils nous instruisent (car le Père nous aime comme il aimait Jésus, et Jésus aussi nous aime comme le Père l’a aimé), ont un caractère tout particulier : ce n’est pas l’énergie de quelqu’un qui doit courir pour atteindre ce qu’il n’a jamais encore possédé ; Jésus parlait de ce qu’il connaissait et rendait témoignage de ce qu’il avait vu, de ce qu’il avait quitté par amour pour nous, Lui le Fils de l’homme qui était dans le ciel.

Jean entre plus que Paul dans ce caractère de Christ ; ainsi, dans l’épître du disciple bien-aimé, ce que Jésus est dans sa nature et dans son caractère est plus développé que ce que nous serons avec Lui dans la gloire. Pierre, bâtissant sur le même fondement que les autres, attend néanmoins ce qui sera révélé : son pèlerinage est bien dirigé vers les cieux, pour avoir un trésor qui y est conservé, qui sera révélé au dernier temps, mais il est rattaché plutôt à ce qui était déjà révélé. L’étoile du matin en vertu de laquelle Paul vivait ne paraissait qu’à l’extrême horizon du point de vue de Pierre, pour qui la vie pratique était celle de Jésus au milieu des Juifs. Pierre ne pouvait pas dire comme Paul : « Soyez mes imitateurs » (vers. 17). L’effet de la révélation faite à Paul, de la gloire céleste de Jésus, de la gloire dans laquelle Jésus se trouve entre son départ et sa future apparition, et de l’union de tous les chrétiens dans le ciel, se réalisait pleinement dans le seul apôtre qui en avait reçu la révélation. Fidèle, par la grâce, à cette révélation, n’ayant pas d’autre objet qui dirigeât ses pas ou partageât son coeur, Paul se donnait pour exemple. Il suivait bien Christ, mais la forme de sa vie était toute particulière à cause de la manière dont Dieu l’avait appelé ; et c’est de cette manière que les chrétiens qui jouissent de cette révélation doivent marcher.

Aussi Paul parle-t-il d’une administration qui lui est confiée (Col. 1: 25 ; Éph. 3: 2).

Le but de Paul n’était pas de détourner de Christ les yeux des Philippiens ; il insiste, au contraire, sur la nécessité d’avoir le regard constamment fixé sur Lui : c’est ce qui caractérise l’apôtre, et c’est en cela qu’il se donne pour exemple. Mais le caractère de ce regard était spécial : le Christ qui préoccupait Paul n’était pas un Christ connu sur la terre, mais un Christ glorifié qu’il avait vu dans le ciel. Courir toujours vers ce but, voilà ce qui caractérisait sa vie, comme cette même gloire de Christ — témoignage de la justice de Dieu révélée en notre faveur et de la position de l’Assemblée — faisait la base de sa doctrine. C’est pourquoi il peut dire : « Soyez mes imitateurs ». Il ne détournait pas sa vue du céleste Christ qui avait resplendi devant ses yeux, et qui resplendissait encore devant sa foi. Les Philippiens devaient marcher ensemble ainsi, et porter leurs regards sur ceux qui suivaient l’exemple de l’apôtre, puisque plusieurs (car il s’agit, nous le voyons, d’un temps où l’Assemblée dans son ensemble s’était bien éloignée de son premier amour et de son état normal), puisque plusieurs, dis-je, qui portaient le nom de Christ, et qui avaient donné bon espoir, de sorte que l’apôtre parlait d’eux en pleurant, étaient des ennemis de la croix de Christ ; car la croix sur la terre, dans notre vie, répond à la gloire céleste en haut. Il ne s’agit pas ici de l’assemblée de Philippes, mais de l’état de l’Assemblée extérieure et universelle. Déjà beaucoup de gens se donnaient pour chrétiens, qui unissaient à ce beau nom une vie qui avait la terre et les choses terrestres pour but. L’apôtre ne reconnaissait pas ces personnes. Il y en avait de telles ; leur état n’était pas une affaire de discipline locale, mais un état de la chrétienté, dans laquelle tous même cherchaient leur propre intérêt, où la spiritualité était ainsi abaissée, le Christ de gloire peu réalisé, et où plusieurs pouvaient — sans avoir la vie du tout — marcher sans être découverts par ceux qui avaient eux-mêmes si peu de cette vie et qui ne marchaient guère mieux qu’eux. Il ne parait pas que ceux qui avaient leurs pensées aux choses terrestres fissent des choses mauvaises qui exigeassent une discipline publique. L’abaissement général de la spiritualité des vrais chrétiens laissait les autres libres de marcher avec eux ; et la présence de ces derniers ravalait davantage encore la mesure de la piété et de la vie.

Mais cet état de choses n’échappait pas à l’oeil spirituel de l’apôtre ; son regard fixé sur la gloire discernait facilement et clairement tout ce qui n’avait pas cette gloire pour mobile : et l’Esprit nous a donné le jugement divin sur cet état de choses, jugement si sérieux et si solennel. Sans doute, cet état de choses a énormément empiré depuis lors, et ses éléments se sont développés et établis dans des proportions et d’une manière bien autrement caractéristiques ; mais les principes moraux de la marche restent toujours les mêmes pour l’Assemblée. Le même mal existe toujours, et le chrétien doit l’éviter ; le moyen aussi, qui seul est efficace pour marcher ainsi, subsiste encore ; le même précieux exemple à suivre demeure, le même Sauveur céleste, objet éclatant devant les yeux de la foi, la même vie à vivre, si nous voulons être vraiment chrétiens.

Ce qui caractérisait les personnes professant le nom de Christ, dont il est ici question, c’était qu’elles avaient leur coeur aux choses terrestres : ainsi la croix n’avait pas pour elles sa force pratique ; en réaliser la force aurait été une contradiction de toute leur marche. Aussi leur fin était la destruction. Le vrai chrétien n’est pas ainsi sa bourgeoisie est dans les cieux et non sur la terre ; sa vie morale se passe dans les cieux ; ses vraies relations sont là : de là, il attend Christ comme Sauveur ; il l’attend pour être délivré de la terre, de ce système éloigné de Dieu qui l’entoure ici-bas ; car le salut est toujours envisagé, dans l’épître qui nous occupe, comme résultat final du combat, résultat dû à la toute-puissance du Seigneur. Alors, quand Jésus viendra pour prendre l’Assemblée à Lui, les chrétiens, vraiment célestes, Lui seront semblables dans sa gloire céleste, et cette ressemblance est l’objet de leur poursuite en tout temps (comp. 1 Jean 3: 2). Christ accomplira cette oeuvre en eux en transformant leur corps d’humiliation à la ressemblance de son corps glorieux, selon le pouvoir qu’il a de s’assujettir toutes choses. Alors l’apôtre et tous les chrétiens auront atteint le but — la résurrection d’entre les morts !

Tel est l’ensemble de ce chapitre. Christ vu dans la gloire est la source de l’énergie pour la vie chrétienne, l’objet étant de gagner Christ, de sorte que tout le reste est une perte ; d’autre part, Christ s’anéantissant Lui-même est la source de la grâce chrétienne déployée dans la marche : ce sont là les deux parties de la vie chrétienne que nous sacrifions trop facilement l’une à l’autre, ou du moins si nous visons à l’une nous oublions souvent l’autre. Toutes deux brillent avec éclat chez Paul. Le chapitre suivant parle de la supériorité aux circonstances. Cette supériorité est aussi l’expérience et l’état de l’apôtre ; car on remarquera que c’est l’expérience personnelle de Paul qui est décrite dans le résumé de toute sa conduite (humainement parlant) sans reproche, et non la perfection. Pour la perfection, la seule mesure est la ressemblance à Christ dans la gloire. Au sujet de ce troisième chapitre, plusieurs ont demandé si le but dont l’apôtre s’occupe était une assimilation spirituelle à Christ ici-bas, ou une assimilation complète à Lui dans la gloire. C’est oublier un peu la portée de ce que dit l’apôtre, savoir, que la vue et le désir de la gloire céleste, le désir de posséder Christ Lui-même ainsi glorifié, est ce qui forme le coeur ici-bas. Le chrétien ne peut trouver en lui-même un objet ici-bas, puisque Christ est en haut : avoir quoi que ce soit ici-bas comme objet serait séparer le coeur de l’objet qui le forme à sa propre ressemblance. Mais, quoique nous n’atteignions jamais le but ici-bas, parce que le but est un Christ glorifié et la résurrection d’entre les morts, la poursuite de ce but nous rend néanmoins toujours plus semblables à Lui. Le but dans la gloire forme la vie qui répond ici-bas à ce but. Si une lumière est placée au bout d’une longue allée droite, je n’ai jamais la lumière elle-même, avant d’être arrivé au bout de l’allée : mais à mesure que je vais en avant, j’ai toujours plus de lumière ; je connais mieux cette lumière, je suis moi-même davantage dans la lumière. Ainsi en est-il à l’égard d’un Christ glorifié, et telle est la vie chrétienne (comp. 2 Cor. 3).

4 - Chapitre 4

Ainsi, les Philippiens devaient donc demeurer fermes dans le Seigneur. C’est une chose difficile lorsque la mesure spirituelle de la vie chrétienne a universellement baissé ; c’est une chose pénible aussi ; car en demeurant fidèle, on s’isole beaucoup et les coeurs des autres sont gênés. Mais l’Esprit nous a donné très clairement l’exemple, le principe, le caractère de cette marche et la force nécessaire pour la suivre. Si on a les yeux sur Christ, tout est facile : sa communion donne de la clarté et de la certitude, et vaut tout le reste, tout ce que, peut-être, nous perdons.

Cependant l’apôtre parle avec douceur de ces personnes ; elles n’étaient pas pour son coeur comme les faux docteurs judaïsants, qui corrompaient les sources de la vie et barraient le chemin qui conduit l’âme à la communion de Dieu en amour. Les premiers avaient perdu la vie de communion ou n’en avaient jamais eu que l’apparence. Paul les pleurait.

Je pense que l’apôtre avait envoyé sa lettre aux Philippiens par Épaphrodite, qui aussi, il est probable, avait écrit cette lettre sous sa dictée ; Paul ayant dicté toutes ses épîtres, sauf celle aux Galates, qu’il a écrite de sa propre main, ainsi qu’il nous le dit lui-même. Quand donc l’apôtre dit : mon « vrai [ou fidèle] compagnon de travail » (chap. 4: 3), il parle, je le pense, d’Épaphrodite, et s’adresse à lui. Mais il pense aussi à deux soeurs qui n’étaient pas d’accord pour résister à l’Ennemi. Il voulait de toute manière qu’il y eût unité de coeur et d’esprit ; il prie Épaphrodite (si c’est bien de lui qu’il est question ici), comme ouvrier du Seigneur, d’aider ces femmes fidèles qui avaient travaillé de concert avec Paul pour propager l’Évangile. Peut-être Évodie et Syntyche étaient-elles de ce nombre. L’enchaînement des pensées le fait supposer. L’activité de ces deux femmes, ayant dépassé la mesure de leur vie spirituelle, se trahissait en des mouvements de volonté propre qui les mettaient en désaccord l’une avec l’autre. Cependant elles ne sont pas oubliées à côté de Clément et d’autres coouvriers de l’apôtre lui-même, dont les noms sont dans le livre de vie ; car l’amour du Seigneur se souvient de tout ce que fait sa grâce, et cette grâce a une place pour chacun de ceux qui lui appartiennent.

L’apôtre revient maintenant aux exhortations pratiques, adressées aux fidèles pour leur vie ordinaire, afin qu’ils marchassent selon leur vocation céleste. « Réjouissez-vous… dans le Seigneur », leur dit-il (vers. 4). S’il pleure même sur un grand nombre qui se disent chrétiens, il se réjouit néanmoins toujours dans le Seigneur : en Lui se trouve ce que rien ne peut changer. L’état du coeur de Paul en présence des sujets de tristesse n’est pas un état d’indifférence qui empêche de pleurer, mais il y a pour lui une source de joie qui ne fait qu’augmenter dans la détresse, à cause de son immutabilité, et qui devient toujours plus pure dans le coeur, en devenant toujours plus sa seule joie ; et elle est en soi la seule source de joie infiniment pure. Quand elle est notre seule source, la conséquence en est que nous aimons les autres. Si nous les aimons à part de Lui, nous perdons quelque chose de Lui. Lorsque le coeur est sevré de toute autre source de joie par les exercices qu’il traverse, la joie en Christ demeure dans toute sa pureté, et l’intérêt que nous portons aux chrétiens participe à cette pureté d’affection. Rien non plus ne trouble cette joie, parce que Christ ne change pas : plus il est connu, mieux nous savons jouir de ce qui ne fait que grandir par sa connaissance. Mais l’apôtre exhorte les chrétiens à se réjouir : c’est leur témoignage à la valeur de Christ, c’est leur vraie portion. Quatre ans de prison enchaîné à un soldat ne l’avaient pas empêché de se réjouir, ni de pouvoir en exhorter d’autres dans des circonstances plus faciles que les siennes.

Or la même chose rend les chrétiens modérés et doux ; les passions, quand on jouit de Christ, ne s’excitant pas dans la recherche d’autres choses. D’ailleurs, Christ est près. Encore un peu de temps, et tout ce pour quoi l’homme s’agite cédera la place à Celui dont la présence tient la volonté en bride (ou plutôt la met de côté) et remplit le coeur ; en attendant qu’Il vienne, on ne s’inquiète pas des choses d’ici-bas. Quand il viendra, nous serons occupés d’autre chose que de ce pauvre monde.

Non seulement la volonté et les passions doivent être bridées et se taire, mais les soucis pareillement. Nous sommes en relation avec Dieu. Il est notre refuge en tout. Or les événements n’inquiètent pas Dieu. Il connaît la fin de toutes choses depuis le commencement ; il sait tout, et le sait d’avance. Les événements n’ébranlent ni son trône, ni son coeur ; ils accomplissent toujours ses desseins. Mais Dieu est amour pour nous ; nous sommes par la grâce les objets de ses tendres soins ; il nous entend et incline son oreille pour nous écouter. En toutes choses donc, au lieu de nous inquiéter et de peser les choses dans nos propres coeurs, nous devons présenter nos requêtes à Dieu avec prière, avec supplication, avec un coeur qui se met à nu ; car nous sommes des êtres humains, mais connaissant le coeur de Dieu, qui nous aime parfaitement : de sorte qu’en demandant même, nous pouvons déjà rendre grâces, parce que nous sommes sûrs de la réponse de sa grâce, quelle qu’elle soit ; ce sont nos propres requêtes aussi que nous devons Lui présenter. Et ce n’est point là un froid commandement de découvrir quelle est sa volonté et puis de venir : nous devons aller porter nos requêtes. C’est pourquoi, il n’est pas dit : Vous aurez ce que vous demandez, mais : La paix de Dieu gardera vos coeurs. C’est avoir confiance ; et sa paix, la paix de Dieu Lui-même, gardera nos coeurs. L’apôtre ne dit pas que nos coeurs garderont la paix de Dieu, mais lorsque nous avons jeté notre fardeau sur Celui dont rien ne peut troubler la paix, sa paix garde nos coeurs. Notre trouble est devant Lui, et la paix constante du Dieu d’amour, qui se charge de tout et sait tout d’avance, tranquillise notre coeur déchargé et nous communique la paix qui est en Lui. Et cette paix, en effet, surpasse toute intelligence (ou du moins par elle il garde nos coeurs), comme Lui-même il surpasse toutes les circonstances qui peuvent nous inquiéter, et le pauvre coeur de l’homme qui s’en inquiète. Oh ! quelle grâce que nos soucis mêmes fassent que nous soyons remplis de cette merveilleuse paix, si nous savons les apporter au Dieu qui est fidèle. Qu’il nous soit donné de savoir bien maintenir ces entretiens avec Dieu et leur réalité, afin qu’il y ait beaucoup de communication entre nos âmes et Lui, et que nous connaissions ses voies à l’égard des croyants.

Au reste, le chrétien, quoique marchant au milieu du mal et des épreuves, ainsi que nous l’avons vu, doit s’occuper de tout ce qui est bon ; il doit vivre dans cette atmosphère, de sorte que son coeur soit pénétré de son influence et qu’il soit habituellement là où Dieu peut se trouver. Cet avertissement est de la plus haute importance. On peut s’occuper du mal pour le condamner, et l’on peut avoir raison, mais ce n’est pas là avoir communion avec Dieu dans ce qui est bon. Mais quand on est occupé par sa grâce de ce qui est bon, de ce qui vient de Lui, le Dieu de paix Lui-même est là présent. Dans les détresses nous aurons ainsi la paix de Dieu ; dans notre vie ordinaire, le Dieu de paix, si cette vie est celle dont Paul était l’exemple pratique ; quant à leur marche, en le suivant, dans ce qu’ils avaient appris, ouï de lui, et vu de lui, les Philippiens trouveraient ainsi Dieu avec eux.

Cependant, quoique telle fût son expérience, Paul se réjouissait beaucoup de ce que les soins affectueux des chrétiens de Philippes pour lui avaient refleuri. Il pouvait bien, quant à lui, se réfugier auprès du Seigneur ; mais il lui était doux dans le Seigneur d’avoir ce témoignage d’affection de la part des Philippiens. Il paraît que l’apôtre avait été dans le besoin, mais ce besoin même était devenu pour lui l’occasion d’une confiance plus complète en Dieu. On peut le supposer par ses paroles ; mais, ajoute-t-il avec une grande délicatesse, il ne voulait pas, en disant que les soins des Philippiens pour lui avaient refleuri maintenant enfin, faire supposer qu’ils l’eussent oublié. Ces soins étaient dans leurs coeurs, seulement, l’occasion d’exprimer leur amour avait manqué. Aussi Paul ne parlait-il pas eu égard à ses besoins ; il avait appris — et c’était le résultat béni de ses expériences que nous trouvons ici — à se contenter de tout et ainsi à ne dépendre de personne : il savait être abaissé, il savait être dans l’abondance ; de toute manière il était instruit à être rassasié et à avoir faim, à être dans l’abondance et dans la pénurie ; il pouvait tout par Celui qui le fortifiait. Douce et précieuse expérience ! non seulement parce qu’elle rend capable de faire face à toutes les circonstances — ce qui est d’un grand prix — mais parce que le Seigneur est connu comme l’ami constant, fidèle et puissant, du coeur. La pensée que l’apôtre veut exprimer n’est pas : « je puis toutes choses », mais « je puis toutes choses en celui qui me fortifie ». Il parle d’une force continuelle découlant d’une relation avec Christ et de rapports avec Lui entretenus dans le coeur. Il ne dit pas non plus seulement : « on peut toutes choses » — cela est vrai ; mais Paul l’avait appris en pratique ; il savait de quoi il pouvait être assuré et à quoi s’en tenir — sur quel terrain il était maintenant. Christ lui avait été toujours fidèle, l’avait fait passer par tant de difficultés et de moments prospères, que Paul avait appris à se confier en Lui, et non dans les circonstances. Or, Lui restait le même. Toutefois, les Philippiens avaient bien fait (vers. 14) ; aussi ce qu’ils avaient fait n’était pas oublié par Paul. Dès le commencement, Dieu leur avait fait cette grâce, et ils avaient suppléé aux besoins de son serviteur, même quand il n’était pas avec eux. Il s’en souvenait avec affection ; non qu’il recherchât un don, mais il recherchait du fruit à leur propre profit. « Or j’ai amplement de tout », dit-il, son coeur revenant à la simple expression de son amour ; « je suis dans l’abondance ; je suis comblé, ayant reçu d’Épaphrodite ce qui m’a été envoyé de votre part… un parfum de bonne odeur, un sacrifice acceptable, agréable à Dieu » (vers. 18).

Le coeur de l’apôtre se reposait en Dieu ; son assurance à l’égard des Philippiens l’exprime. Mon Dieu, dit-il, suppléera à tous vos besoins, richement : il ne souhaite pas que Dieu le fasse : il avait appris ce qu’était ce Dieu, par sa propre expérience. Mon Dieu, dit-il, Celui que j’ai appris à connaître dans toutes les circonstances par lesquelles j’ai passé, vous comblera de tous les biens. Et ici Paul revient au caractère de Dieu tel qu’il l’avait connu. Dieu agirait ainsi à l’égard des Philippiens selon ses richesses en gloire par le Christ Jésus. C’était dans la gloire que Paul avait appris à le connaître au commencement : tel il l’avait connu tout le long de son chemin varié, plein d’épreuves d’ici-bas, et de joie d’en haut. Aussi c’est en unissant les Philippiens à lui-même dans cette confiance que l’apôtre termine l’épître : « Or à notre Dieu et Père (car tel était Dieu, pour les Philippiens aussi) soit la gloire aux siècles des siècles ! » (vers. 20). Il applique aux Philippiens ses propres expériences de ce que Dieu était pour lui, et de la fidélité de Christ ; c’est ce qui satisfaisait son amour et lui donnait du repos à leur égard. C’est là une consolation quand on pense à l’Assemblée de Dieu.

Paul envoie aux Philippiens les salutations des frères qui sont avec lui et celles des saints en général, et en particulier de ceux de la maison de César : car là même Dieu avait trouvé des âmes dociles par la grâce à la voix de son amour.

Il termine l’épître par la salutation qui servait de garantie dans toutes ses épîtres, qu’elles étaient bien de lui.

L’état des assemblées de nos jours, l’état des enfants de Dieu dispersés de nouveau, souvent comme des brebis sans berger, est bien autrement un état de ruine que ne l’était celui des assemblées à l’époque où l’apôtre écrivait : mais cela ne rend que plus précieuse l’expérience de l’apôtre, dont Dieu a bien voulu nous donner le tableau dans cette épître ; expérience d’un coeur qui se confiait en Dieu seul et appliquait cette expérience à l’état des âmes privées des ressources naturelles qui se rattachaient au corps organisé de Christ tel que Dieu l’avait formé sur la terre. L’ensemble de l’épître présente l’expérience chrétienne normale, c’est-à-dire la supériorité que donne la marche selon l’Esprit sur tout ce que nous avons à traverser. Il est remarquable que le péché ne s’y trouve pas mentionné, ni la chair non plus, si ce n’est pour dire que l’apôtre n’avait pas confiance en elle.

Il avait lui-même alors une écharde pour la chair ; mais l’expérience normale du chrétien consiste à marcher selon l’Esprit au-dessus et à l’abri de tout ce qui peut mettre la chair en activité.

Le lecteur remarquera que le chapitre 3 place la gloire devant le chrétien et présente l’énergie de la vie chrétienne ; au chapitre 2 nous trouvons l’anéantissement et l’abaissement de Christ, dont les résultats se voient dans un esprit de grâce chez le chrétien, et dans les égards pour les autres, tandis que le dernier chapitre nous donne une supériorité sur toutes les circonstances, laquelle est pleine de bénédictions.