CE QUE JE N’AVAIS PAS RAVI, JE L’AI ALORS RENDU
Jean Koechlin
ME 1974 p. 20
Tables des matières :
2 - La chute et la pensée de Christ
5 - Rendre à Dieu ce qui Lui est dû
« Ce que je n’avais pas ravi, je l’ai alors rendu » Ps. 69:4
« Le Christ Jésus… étant en forme de Dieu, n’a pas regardé comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même… » Phil. 2:6
Quand nous évoquons la chute de l’homme, nous pensons plus volontiers à notre côté qu’à celui de Dieu. Nous y voyons plutôt la misère dans laquelle la chute d’Adam a plongé la race humaine : notre déchéance morale et physique — avec la mort, salaire du péché — que l’offense faite au Dieu saint par ce péché. Nous ressemblons à l’enfant puni qui se lamente sur la juste correction qu’il subit plutôt que sur le chagrin qu’il a causé à ses parents.
Mais si nous
, nous
pleurons surtout sur les conséquences immédiates de notre culpabilité, ce n’est
pas cette pensée-là qui était d’abord dans le Christ
Jésus.
Sans
doute est-il venu à nous, ému par notre malheur ; son amour en mesurait
l’étendue. Bien plus que nous ne sommes capables de le faire, il sondait à fond
notre état misérable, cet abîme de mal où nous étions plongés. Au tombeau de
Lazare, il pleurait ; une peine profonde, mêlée d’indignation, étreignait
son âme sainte à la vue du pouvoir de la mort sur l’esprit de l’homme. Lui
connaissait la pleine signification de cette expression de l’Écriture : la
colère
de
Dieu
. Il en a subi l’entière rigueur lorsqu’il
s’est substitué à nous pour en recevoir tous les coups. Béni soit à jamais son
nom ! Mais Christ avait pour venir ici-bas un motif plus grand. Les
affaires de son père passaient avant les intérêts de l’homme, si pressants que
soient ceux-ci. L’affaire urgente, qui à elle seule justifiait sa venue dans ce
monde — même si aucun pécheur n’avait accepté le salut — était la
pleine
restauration
de
la
gloire
de
Dieu.
Tout avait été excellent dans
la Création. Un ordre parfait s’y déployait, donné en spectacle aux anges pour
leur rendre témoignage de la gloire du Créateur. Ce qui sera dit plus tard de
l’Assemblée dans l’univers moral
est vrai déjà de l’univers matériel :
« la sagesse si diverse » ainsi que la puissance du Dieu « qui a créé toutes
choses » n’ont-elles pas été données « à connaître aux principautés et aux
autorités dans les lieux célestes » déjà par
la
Création
?
(comp. Éph. 3:9, 10 ; Ps. 104:24). Après chacun des six jours, Dieu a
lui-même vu, constaté, répété « que cela était bon que cela était très bon ». Et
le choeur des créatures célestes le confirmait : Dans ce matin triomphant
« tous les fils de Dieu éclataient de joie » (Job 38:7). Quel était le couronnement
de cette oeuvre magnifique, sinon l’homme,
créature supérieure, douée
d’intelligence et de remarquables capacités, consciente de ses liens avec
Dieu ? Liens de dépendance, certes, mais dans le cadre desquels l’homme
est doté de liberté de jugement et d’action : c’est lui qui choisit les
noms des animaux. Adam est établi à la tête de tout comme l’intermédiaire
responsable entre le Créateur et le monde créé ; il est une sorte
d’administrateur chargé de gérer la terre pour le compte de Dieu et de la faire
collaborer à Sa gloire.
Or qu’est-il requis de la part d’un administrateur ? C’est qu’il soit trouvé fidèle (1 Cor. 4:2). Telle est sa raison d’être, sous peine d’entendre la parole du maître frustré à l’économe injuste : « Tu ne pourras plus administrer » (Luc 16:2). C’est ce qui est arrivé : Satan est intervenu et, s’efforçant toujours d’atteindre la tête, c’est sur l’homme qu’il a concentré ses coups. Calcul évidemment habile puisque s’il séduisait le chef de la terre, il tiendrait en même temps celle-ci. Plus tard il raisonnera de même en offrant au Seigneur tous les royaumes du monde et leur gloire. Si celui à qui il les offrait lui avait rendu hommage, Satan en aurait de fait conservé la direction. Mais comment séduire quelqu’un qui possède tout ; comment rendre insatisfait quelqu’un qui ne manque de rien ?
Chose effrayante, l’objet
à
ravir
que le diable va suggérer à la convoitise du premier
homme ne sera rien de moins que l’égalité avec Dieu. Le lien de dépendance
jusque-là parfaitement heureux avec l’Éternel sera représenté à l’homme comme
joug insupportable. L’enjeu sera la suppression de ce lien pour jouir d’une
autorité propre, sans contrôle, comme celle de Dieu lui-même. Tel l’esclave qui
se révolte de dessous son maître, c’est déjà le « Rompons leurs liens et jetons
loin de nous leurs cordes » du Psaume 2. En convoitant et en dérobant le fruit
défendu, c’est une partie de la gloire de Dieu que l’homme convoite et dérobe.
Par un geste pour nous d’apparence insignifiante, le Créateur se voit alors dépouillé
de tout le travail des six jours ; tout se passe comme si son merveilleux
univers lui était ravi par son gérant malhonnête, lequel en réalité est
manoeuvré par le grand Adversaire. N’est-ce pas un avantage magistral marqué
par celui-ci ? La pièce maîtresse de la splendide création divine a été
soustraite à son propriétaire, et du même coup cette dernière.
Encore n’est-ce pas la chose
la plus grave pour Celui à qui une parole suffirait aussi bien pour anéantir
cette première création désormais inutile, y compris l’homme infidèle, que pour
en appeler une autre à l’existence. Ce qui est pire, ce qui ne peut être
effacé, et qui doit être réparé, c’est l’outrage
subi
par
Dieu,
outrage public puisqu’il a eu lieu devant les mêmes créatures célestes qui
avaient chanté de joie lors de la Création. Ces chérubins, jadis émerveillés à
la vue de l’homme, reçoivent mission de lui interdire l’accès du jardin !
Un père est confus lorsqu’un de ses enfants lui désobéit devant autrui ;
cela laisse supposer de sa part de la faiblesse et des lacunes dans l’éducation
donnée ; la trahison de quelqu’un en qui nous avons placé notre confiance
nous déconsidère : nous sommes estimés avoir manqué de discernement dans
le choix que nous avons fait. Pensons aux sentiments que peut éprouver un
artiste dont l’admirable travail se trouve soudain dévalorisé par une
maladresse irréparable. Mais que dire alors, devant la dégradation de ce que
Dieu avait trouvé « très bon » ? Le Créateur pouvait-il accepter d’en rester
là ? En vérité la chute de l’homme était lourde de conséquences. Elle
engageait Dieu personnellement ; elle attentait à son honneur ; elle
le désavouait devant témoins dans certains de ses attributs essentiels. Dieu,
le souverain
rencontrait parmi la multitude des créatures soumises à sa
volonté un être rebelle, osant lui désobéir à main levée, et c’était la seule
créature dont il nous est dit qu’elle avait été faite à Son image, à Sa
ressemblance ! Le Dieu « qui seul
est
sage
» était
apparemment mis en défaut par une défaillance dans l’ordre de sa création. Le Dieu
saint
voyait la souillure du péché contaminer son domaine, l’univers
présentait désormais à Ses regards une tache indélébile ; le Dieu
puissant
semblait mis en échec par sa faible créature. Le Dieu
de
vérité
était fait menteur par le « Quoi, Dieu a dit ? » insinué par Satan et
accepté par l’homme : insulte qui Lui était jetée à la face. Et surtout le
Dieu
de
bonté
qui avait comblé l’homme de sa faveur
récoltait en retour la méfiance et l’ingratitude. Sous tous ces aspects la
gloire de Dieu était publiquement foulée aux pieds. Ce
qui
lui
a
été
ravi
en un instant par le premier homme est
incalculable. Et, l’eût-il voulu, ce dernier était dorénavant bien incapable de
restituer ce qu’il avait pris ; son être moral est désormais
perverti : s’il connaît le bien et le mal c’est parce qu’il est tombé dans
le mal, l’indépendance acquise est devenue un besoin, la désobéissance une
habitude, la méfiance un instinct. Dieu est considéré comme un inexorable créancier
devant lequel le débiteur insolvable ne voit d’autre issue que de se cacher. On
s’est fatalement compromis vis-à-vis de Dieu et il se doit à Lui-même
d’intervenir.
Alors s’est présenté Celui
pour qui la gloire de Dieu est tout. Suivant le chemin inverse de l’homme,
s’abaissant toujours davantage, Jésus s’est offert pour
rendre
à
Dieu
ce qui lui revient, pour se substituer, lui l’homme obéissant, à la
créature désobéissante, pour laver l’offense et payer notre dette. Il a rendu à
Dieu seul la gloire à chaque pas de son chemin. « Moi je t’ai glorifié sur la
terre », est le résumé de sa vie (Jean 17:4). Et il a glorifié Dieu de la seule
manière possible pour un homme, non par de hauts faits ou par le fruit de son
intelligence, mais par l’obéissance.
Quel changement lorsque Jésus
paraît ici-bas ! La pleine et entière souveraineté de Dieu est enfin
reconnue dans une sphère où elle n’avait cessé
depuis
la chute de
l’homme d’être contestée. Les répo nses données à Satan au désert mettent
toutes trois l’accent sur cette entière soumission qui convient àl’homme
vis-à-vis de Dieu : vivre de sa Parole, ne pas le tenter en mettant
celleci en doute, enfin Lui rendre hommage et le servir Lui seul. Tout ceci est
en contraste complet avec le comportement d’Adam et d’Ève dans le jardin.
Cependant la pleine
obéissance ne pouvait briller que dans une épreuve totale. Pour mettre en
évidence celle d’Abraham, l’appel à quitter son pays et sa parenté n’était pas
suffisant ; il a fallu l’ordre divin d’offrir en holocauste son fils, son
unique, celui qu’il aimait. Pour mettre en évidence celle de Jésus, il n’a pas
fallu moins que la croix. « Il est devenu obéissant jusqu’à la mort, et
à
la
mort
de
la
croix
» (Phil. 2:8). Sa mort,
qui faisait partie du commandement reçu de son Père, couronne son chemin
d’obéissance parce qu’elle lui coûte tout :
Il
doit
être
abandonné;
il
doit
être
fait
péché;
il
faut
qu’il
pénètre
dans
la
mort.
Mais il va jusque-là, et
dorénavant rien ne manque plus à la gloire de Dieu. Ce qui y portait atteinte
est annulé : le péché
est ôté, la mort
vaincue. Cette gloire
divine est entièrement restaurée, plus que restaurée, merveilleusement
augmentée. La puissance
de Dieu se manifeste non plus en création
seulement mais en résurrection. Sa justice
brille non seulement dans la
condamnation du mal, dans la sentence de mort rendue en Éden et subie par Jésus
à notre place, mais dans la récompense du bien, dans l’exaltation de l’homme
parfait à la droite de la Majesté. La sagesse
de Dieu se déploie non
seulement dans des oeuvres nombreuses, « toutes faites avec sagesse »mais combien
plus grande dans le plan admirable de ses conseils d’éternité lequel peut
apparaître maintenant pleinement dévoilé aux regards de ses créatures. « Ô
profondeur des richesses et de la sagesse et de la connaissance de Dieu !
… » (Rom. 11:33). Et surtout l’amour
de Dieu, dont un aspect
seulement : la bonté, était jusqu’alors connu, éclate comme jamais dans la
rédemption de criminels : ceux-là mêmes qui viennent de crucifier son
Fils. L’amour souverain, absolu et inconditionnel de Dieu ne pouvait être
exalté que si les êtres qui en étaient les objets en étaient démontrés
parfaitement indignes, entièrement haïssables. Il peut désormais s’exprimer
librement dans son étendue infinie.
C’est en vérité que nous chantons : « Sa sainteté, son amour, sa justice, Ta croix, Jésus, a tout magnifié ». Le premier homme avait ravi à Dieu sa gloire, le second la Lui a restituée, et combien plus éclatante. Sur cette terre, champ de bataille final contre les forces du mal, la victoire décisive a été remportée par Lui. Et le choeur des anges peut à nouveau se faire entendre sur une note combien plus élevée pour célébrer la pleine gloire de Dieu ainsi que Celui par le moyen de qui elle pourra briller sans nuage pendant toute l’éternité.
Quant à nous, nous chanterons
d’une manière parfaite, dans la contemplation de cette gloire divine aux
multiples aspects. Nous en serons les bienheureux spectateurs et adorateurs
comme le Seigneur l’a promis « afin dit-il qu’ils voient
ma gloire que tu
m’as donnée » (Jean 17:24). Mais il est une gloire que nous partagerons, selon
cette autre parole : « la gloire que tu m’as donnée, moi je la leur ai
donnée » (id. v. 22). Car nous serons aussi associés à l’Homme glorifié, son
complément nécessaire, objets d’admiration pour ce qui concerne « la louange de
la gloire de sa grâce », appelés à ce titre à partager à jamais et son trône et
ses affections.