par H. Rossier
TABLE DES MATIÈRES
1 - Chapitre 1 — Assuérus et Vasthi.
2 - Chapitre 2 — Esther, épouse et reine.
4 - Chapitre 4 — La grande tribulation.
5 - Chapitre 5 — Esther reçue en grâce. Haman se dévoile
6 - Chapitre 6 — Voies secrètes de la Providence.
7 - Chapitre 7 — Esther fait connaître son origine.
8 - Chapitre 8 — Mardochée administre le royaume.
9 - Chapitre 9 — Pleine délivrance.
Les événements dont le livre d’Esther nous entretient, s’intercalent entre le 6° et le 7° chapitre d’Esdras, c’est-à-dire entre le règne de Darius (fils d’Hystaspe) et celui d’Artaxerxès (surnommé Longue-Main). La lacune qui sépare ces deux règnes est comblée par le règne d’Assuérus (autrement dit Xerxès. A. C. 485-465), fils de Darius et père d’Artaxerxès. C’est donc sous Assuérus (Xerxès) que se passent les faits contenus dans ce récit inspiré.
Chaque écolier connaît la puissance, les richesses de Xerxès, le rôle joué par lui, dans sa lutte avec la Grèce, au cours des guerres médiques, et comment, la sixième année de son règne, vaincu à Salamine par la flotte de ses adversaires, il s’enfuit et retourna dans son pays ; mais il est utile de rappeler que, pour comprendre la Parole, même ces connaissances élémentaires ne sont pas nécessaires ; il nous suffit d’un passage de Daniel (10:20 à 11:2) pour nous renseigner sur ce que nous devons en savoir. Il est, par contre, important de retenir ici, que des événements qui remplissent de leur bruit l’histoire du monde, comptent à peine dans le livre inspiré. Dieu ne les mentionne que lorsqu’ils interviennent de manière ou d’autre dans l’histoire de son peuple, ou qu’ils préfigurent des événements prophétiques, des contestations entre peuples, dont Israël sera l’objet (Dan. 11). Il arrive même que la Parole ne nous rapporte le choc puissant des nations que pour nous faire assister à la délivrance d’un seul de ses bien-aimés (Gen. 14). Cette vérité est pour nous d’une grande importance. Les conflits entre les nations de nos jours nous préoccupent souvent à un si haut degré, que notre âme en perd la communion avec le Seigneur. Prenons la Parole pour mesurer leur valeur, pesons les faits à la balance du sanctuaire ; comme ils nous sembleront petits en face des conseils éternels de notre Dieu ! Les plus grands bouleversements des plus grands empires qui semblent ébranler le monde sur ses bases, ne pèsent pas plus qu’un fétu dans les balances de Dieu, à moins que son peuple ne soit en cause, que ce soit en jugement sur lui, ou en vengeance sur ses adversaires (Deut. 32:8). On en voit un exemple dans le Nouveau Testament : la tâche prodigieuse du recensement de toute la terre habitée, par le plus grand des Césars, n’a d’autre résultat que d’amener la naissance d’un petit enfant à Bethléhem ; et, à la fin des temps, les luttes gigantesques des plus grands capitaines et de leurs armées innombrables, disparaissent comme un souffle à l’apparition d’un seul homme. Dans l’Ancien Testament, le bouleversement du monde par l’Assyrien et toutes ses victoires, n’ont d’importance qu’en tant qu’ils sont la verge de Dieu contre Israël infidèle ; la victoire de Babylone sur l’Assyrie, qu’en tant qu’elle accomplit les mêmes desseins de Dieu à l’égard de Juda.
Le livre d’Esther confirme ce
que nous venons de présenter. Les guerres médiques qui ébranlèrent, pendant
tant d’années, le monde d’alors, y sont tout simplement supprimées.
Il n’est pas plus question, dans ce livre, de la
victoire des Grecs (Javan), que de la défaite des Perses. De tels événements
ont préparé de loin la ruine de la Perse, second empire universel, qui n’a pas
mieux administré ce que Dieu lui avait confié que ne l’avait fait Babylone, le
premier empire, mais ils ne concernent pas le peuple de Dieu.
Un trait très particulier du
livre d’Esther n’a échappé à personne. Le
nom de Dieu en est absent.
La raison de cette omission est incompréhensible
pour les Juifs, car un endurcissement partiel est venu sur eux, et ils ne
comprennent pas la pensée de Dieu dans leurs propres Écritures. Nous verrons
que cette suppression est la condamnation absolue de ce peuple, et c’est
précisément ce qu’il ne veut pas reconnaître. Bien que le livre d’Esther ait
encore aujourd’hui, pour les Juifs, une importance capitale parmi les livres
saints, et continue à être lu solennellement lors de la fête des Purim, le
sentiment des auditeurs pendant cette lecture se manifeste par des imprécations
contre Haman, sa femme et ses fils, mais n’a nullement le caractère d’un
jugement d’eux-mêmes. Ils comprennent si peu l’omission du nom de Dieu, que la
Version grecque des Septante, faite par des Juifs alexandrins, semble avoir eu
autrefois pour but de remédier à ce qu’ils considéraient comme une lacune, par
de nombreuses additions apocryphes,
où le nom de Dieu est très souvent mentionné.
Pour expliquer celle omission si remarquable, jetons un premier regard sur les circonstances où se trouvaient les Juifs dans le livre d’Esther.
Lors de l’édit de Cyrus, à la
fin des 70 années de captivité, un nombre considérable de Juifs, voyant dans
cet édit l’accomplissement de la parole de Dieu, rentra dans son pays, sous la
conduite de Zorobabel. Esdras en ramena d’autres plus tard. Cette émigration
comportait 42360 personnes. Sans doute, à plus d’une reprise, des individus
remontèrent à Jérusalem, de Babylone ou d’autres lieux de l’empire, pour
adorer, ou pour apporter des présents (voyez, par exemple, Zach. 6:9-10) ;
mais, d’une manière générale, soit indifférence pour Jérusalem et le temple,
soit amour de ses aises, soit intérêt, ou pour toute autre cause, une grande
partie de Juda et de Benjamin resta dans les provinces persanes où elle s’était
établie. Les premiers répondaient aux pensées de Dieu en remontant à Jérusalem,
les autres ne semblaient pas apprécier l’humiliation de leur condition servile,
et restaient où ils étaient. Il va sans dire que nous exceptons de cette
seconde catégorie des personnages, tels que Daniel, Esdras, Néhémie, Mardochée,
que leurs fonctions officielles
tenaient
sous la dépendance immédiate du monarque persan. Ceux qui étaient remontés,
sans être reconnus de Dieu comme nation, car la sentence qui les avait déclarés
Lo-Ammi
n’était pas révoquée, se
trouvèrent dans des relations individuelles, et même collectives avec
l’Éternel, malgré l’absence complète de relations
nationales
avec Lui, et il se plaisait à entretenir ces relations avec eux,
en leur faisant connaître ses pensées par des conducteurs, des docteurs et des
prophètes, afin de soutenir leur foi et de ranimer leur courage. Le but de Dieu
était de les préparer à recevoir leur Messie, et, s’ils le recevaient, de les
rétablir comme nation et de les appeler de nouveau mon peuple.
Nous savons comment tous ses desseins de grâce envers
Israël furent interrompus par le rejet du Christ ; comment, à la suite de
ce rejet, l’Église fut formée par le Saint Esprit, comment enfin la
restauration d’Israël fut renvoyée aux temps futurs décrits par les prophètes.
Malgré tout, les débuts de la restauration de Juda et de Benjamin furent
particulièrement bénis, comme en témoignent Esdras, Néhémie, et les prophètes
Aggée, Zacharie et Malachie.
L’état du peuple qui avait
préféré rester dans le pays de sa captivité, était, par contre, des plus
fâcheux. S’ils jouissaient d’une prospérité extérieure, ils étaient non
seulement Lo-Ammi, comme leurs frères restaurés en Palestine, mais ils étaient
privés de tout rapport quelconque avec Dieu. Dieu leur était caché
; il avait détourné sa face. Un voile
uniforme de tristesse et d’abandon pesait sur ce peuple. On ne trouvait chez
lui ni énergie de foi (puisqu’elle ne s’était pas montrée lors de l’édit de
Cyrus), ni même jouissance de relations individuelles avec Dieu. Le soleil
d’Israël s’était couché. Ils n’avaient plus même de lampe pour guider leurs pas
dans la nuit qui les avait envahis. Tandis que d’autres étaient remontés vers
la lumière, ou plutôt s’étaient rapprochés d’elle en retournant à Jérusalem,
ceux-ci restaient assis dans les ténèbres de l’ombre de la mort. Pas un rayon
de la face de Dieu ne venait la percer à cette heure. Cela explique comment, religieusement,
dans le livre d’Esther,
tout est plongé dans une ombre mystérieuse. La vie journalière continue, mais
le ressort de cette vie est détendu, plus que cela, détruit.
Mais que voit-on, en outre
chez le peuple ? Les Écritures,
qui
jouent un si grand rôle dans les livres d’Esdras et de Néhémie, sont
complètement absentes. Aucune des fêtes, instituées par la loi de Moïse et dont
la célébration est habituelle au résidu remonté à Jérusalem — aucune fête,
disons-nous, sinon les Purim, solennité entièrement nouvelle, quand la
délivrance du peuple eut lieu. Les sacrifices, la sacrificature, le service,
tout a disparu, ou, du moins, a entièrement cessé d’être mentionné, car nous
savons qu’un grand nombre de sacrificateurs et de lévites n’était pas remonté à
Jérusalem, lors de l’édit de Cyrus ou en d’autres occasions. Si les
communications de Dieu avec le peuple manquent complètement, celles du peuple
avec Dieu sont tout aussi absentes. Pas une fois la prière
n’est mentionnée. Au plus fort de leur détresse, ils
prennent le sac et la cendre, le jeûne est ordonné, mais jamais une prière ou
une supplication. Je ne dis pas, notez-le bien, qu’il ne pût y avoir ces choses
chez les fidèles, mais il n’en
est
jamais question.
Tout ce que l’on voit chez eux, c’est la sollicitude pour
la nation et, à l’approche du coup final, la détresse et une suprême angoisse,
avec une faible pensée, suggérée par la foi, que le secours pourra venir
« d’autre part ». Leur position donc se résume à ceci : ciel fermé, aucune
relation nationale ou individuelle avec Dieu, bien différents en ceci du peuple
sous Esdras ou Néhémie. Ils sont laissés dans l’abandon, dans la servitude,
courbés sous le joug pesant des nations, extérieurement sans Dieu et sans autre
chose qu’une faible espérance. Ils vont, ils viennent, ils vivent, ils
trafiquent, méprisés, haïs du très grand nombre, se faisant petits pour
échapper à une attention hostile, malheureux, mais habitués au joug, gardant,
au milieu de leur abjection, le souvenir de leur grandeur passée, n’étant pas
soutenus, comme ceux qui sont remontés à Jérusalem, par leur affection pour
l’autel, pour le temple, pour les murailles de Jérusalem, ayant sans doute
parmi eux une partie du sacerdoce, comme on le voit dans le livre d’Esdras,
mais sans objet pour s’exercer. Leur malheur n’a pas même le soulagement de
s’exprimer au dehors, sauf quand leur terrible sort est décrété. Si j’avais un
mot pour exprimer cet état, je l’appellerais l’indifférence des malheureux.
Voyez-les, sans patrie, sans capitale, n’ayant pour cité que Suse, la capitale
des gentils, sans prince, sans sacrificateur avec l’éphod, les urim et les
thummim, par lesquels il pourrait consulter l’Éternel (le résidu de Palestine
en avait du moins l’espérance : Esdras 2:63), mais aussi sans idoles et
sans théraphim (Osée 3:4). C’est le désert moral. Je parle de l’impression
que ce livre a pour but de
produire, car le second livre des Psaumes, qui nous place prophétiquement au
milieu des mêmes circonstances, nous montre qu’à défaut de l’Éternel,
leur foi
s’adresse à Dieu.
Cette absence complète de
relations avec Dieu attire sur ce résidu de la captivité le mépris du monde
auquel il est asservi. La parole caractéristique du deuxième livre des Psaumes,
où nous voyons le résidu de Juda chassé de Jérusalem et demeurant au milieu des
nations, cette parole : « Où est ton
Dieu ?
» s’applique d’une manière toute particulière aux circonstances
du livre d’Esther. « On me disait tout le jour : Où est ton Dieu ? » « Mes
adversaires m’outragent comme un brisement dans mes os, quand ils me disent
tout le jour : Où est ton Dieu ? » dit l’âme abattue du résidu qui marche
« en deuil à cause de l’oppression de l’ennemi. » (Ps. 42.) Et de même, dans le
prophète Joël : « Ils sont le proverbe des nations. Pourquoi dirait-on parmi les
peuples : Où est leur Dieu ? » (Joël 2:17). Mais cet abandon même, ce vide
produit autour d’eux, joint au danger de mort qui les menace d’un moment à
l’autre, les fait crier à ce Dieu qui leur cache sa face : « Beaucoup disent : Qui
nous fera voir du bien ? Lève sur nous la lumière de ta face, ô
Éternel ! » (*).
(*) Ce fait seul nous
indique déjà, et nous allons y revenir, que le livre d’Esther est un livre typique.
Nous en serons toujours plus
convaincus, en étudiant le caractère des personnages qui y sont dépeints :
Assuérus, Vasthi, Esther, Haman, Mardochée. Cela est d’autant plus remarquable
que les livres d’Esdras et de Néhémie, quoique remplis d’instruction pour le
temps présent et pour tous les temps, n’ont pas ce caractère typique. C’est
pourquoi aussi le livre d’Esther n’aurait pu être joint au livre d’Esdras, dans
lequel, historiquement, il devrait s’intercaler ; sans parler du fait,
que, traitant de la dispersion des juifs parmi les nations, il transporte le
résidu sur un tout autre terrain.
Ainsi Dieu est caché, et si Dieu l’est, tout le reste l’est aussi. La lumière du monde a disparu ; la nuit est venue, en laquelle personne ne peut travailler. Cette lumière peut luire au milieu des ruines de Jérusalem, d’une manière avare, pour ainsi dire, mais elle luit là où la conscience est réveillée, là où des âmes, comme celle d’Esdras, confessent la coulpe du peuple, s’en repentent et s’en humilient. Ici rien de semblable. Le monde peut resplendir de tout son éclat terrestre, mais Israël est assis dans les ténèbres. La grande lumière, dont parle le prophète, ne reluira qu’à l’apparition première du petit enfant de Bethléhem.
Aux jours d’Esther, le peuple
asservi se cache : Mardochée, serviteur du roi tout-puissant, ne révèle sa race
que forcé à expliquer son attitude vis-à-vis d’Haman. Esther, sur l’ordre de
Mardochée, cache son origine et n’ose la déclarer, ce qui serait sa perte. Elle
est un peu comme les 7000 hommes, inconnus au temps de l’apostasie d’Israël et
du culte infâme de Baal. Seulement, dans le livre d’Esther, le peuple n’est pas
caché devant une idolâtrie triomphante. Les souverains perses avaient en
horreur les faux dieux et pratiquaient la religion de Zoroastre qui répudiait
entièrement les idoles — fausse religion sans doute, mais non grossièrement
idolâtre, comme celle des Chaldéens. Cette religion reconnaissait un Dieu
suprême, Ormuzd, Dieu du bien, avec ses bons génies, et un second Dieu, le Dieu
du mal, Ahriman, éternel comme le premier, en lutte à puissance égale avec lui,
cherchant toujours, avec ses mauvais génies, à séduire les hommes, mais dont la
puissance devait avoir une fin et
laisser le triomphe au Dieu du bien. Cet Ahriman est le diable qui a
réussi à « séduire les hommes en leur
apportant des fruits à manger
», et en les privant par là des avantages dont
ils jouissaient. On voit dans tout cela, avec des erreurs grossières quant à la
nature de Dieu, un écho altéré des traditions orales primitives, Dieu nous en
ayant donné la réalité originelle dans sa Parole. Assuérus n’avait guère que ce
trait commun — sa religion — avec Cyrus, Darius, son père, et Artaxerxès, son
fils.
Au milieu de cette scène,
dans ce froid brouillard qui enveloppe les captifs — et c’est le fait capital
du livre d’Esther — une Providence cachée
veille sur eux. Tout ce récit en est la preuve, et nous aurons ample
occasion de le faire remarquer quand nous en aborderons les détails. C’est que
Dieu est fidèle et que, s’il est obligé de cacher sa face, il ne peut se renier
lui-même. Ses promesses sont sans repentance, et, même quand il les passe
entièrement sous silence, il s’en souvient parfaitement. Il ne peut déclarer ce
caractère aussi longtemps que le peuple porte le poids de son jugement
gouvernemental, dont la sentence est en voie d’exécution. S’il agit autrement
vis-à-vis du peuple remonté à Jérusalem, c’est en vue de la venue de Christ au
milieu d’eux, comme les trois derniers prophètes en témoignent ; ici, dans
le livre d’Esther, rien de semblable ; mais, dans le silence, Dieu reste
le même, et Dieu est amour. Il n’est pas seulement le Dieu saint ; il
reste ce qu’Il a toujours été, un Dieu dont les entrailles sont émues de
compassion envers ce peuple coupable. De là les soins incessants de sa
providence.
Nous pouvons considérer la
providence de Dieu sous deux aspects. Sous le premier aspect, les hommes ont
journellement devant les yeux le spectacle public
, la manifestation
indiscutable de cette providence, comme dit l’apôtre : « Dieu ne s’est pas laissé
sans témoignage, en faisant du bien, en vous donnant du ciel des pluies et des
saisons fertiles, remplissant vos cœurs de nourriture et de joie » (Actes
14:17). Le second aspect est celui d’une providence cachée
dans ses voies et dans son but, en sorte que les hommes ne
peuvent la voir que par son résultat final. C’est ainsi qu’un Moïse — et de
tels exemples sont fréquents — sauvé des eaux par des voies providentielles,
introduit de la même manière à la cour du Pharaon, devient le libérateur de son
peuple. Nous rencontrons à chaque instant, dans le livre d’Esther, ce dernier
caractère de la providence. En restant cachée, elle dirige les événements, et
la foi seule la sait à l’œuvre et compte sur elle. C’est pourquoi aussi, il
faut la foi
pour comprendre ce livre. Nous y trouvons, en résumé, la
Providence secrète agissant au milieu des plus terribles dangers qui puissent
assaillir le peuple sous la colère gouvernementale de Dieu — pour lui donner du
repos par la vengeance sur ses ennemis et pour introduire le règne de paix.
Il est encore un caractère
important du livre d’Esther, sur lequel nous devons insister. Un des traits les
plus merveilleux de l’Ancien Testament — et nous comprenons ici non seulement
les écrits prophétiques, mais la loi, les livres historiques et, en un mot,
tous les autres écrits — c’est, ou bien de présenter les principes moraux qui
sont de tous les temps, et dépassent entièrement la période dans laquelle ils
ont été composés ; ou bien aussi, de préfigurer des événements à venir et
des personnages futurs. Le fait dont nous parlons peut être plus ou moins
évident selon les divers écrits, mais il est constant. Même quand Dieu se
cache, comme dans le livre d’Esther, on sent qu’il choisit les acteurs et l’on
distingue, derrière la scène, l’Ouvrier souverain, façonnant mystérieusement le
type des événements et des personnages à venir. Pour ceux qui étudient la
Parole avec prière, ce fait que nous trouvons des types
, même dans un
livre comme celui d’Esther, est, comme nous le verrons, d’une haute importance.
Quand nous considérons ce récit, il donne à notre esprit une impression
familière. Tel événement, tel personnage, portent la pensée vers des choses
futures souvent méditées. Les faits s’enchaînent, les personnes se présentent
ou s’associent d’une manière caractéristique. Telle allusion, tel nom
indifférent au lecteur superficiel, prend tout à coup une valeur inattendue,
s’éclaire d’une lumière soudaine. Et ce n’est pas un des moindres attraits du
livre divin, de nous faire découvrir une pensée courant comme une eau
souterraine et silencieuse, inconnue du vulgaire, qui foule le sol sans se
douter de sa présence, jusqu’au moment où, l’Esprit de Dieu lui donnant une
issue, elle jaillit tout à coup, comme la source artésienne, aux yeux de ceux
qui en contestaient l’existence.
Il en est ainsi du livre d’Esther. En apparence, rien qui prête moins à l’édification que cette histoire, quand on s’en tient à la surface. À cause de cela, plusieurs y ont intercalé des pensées, très utiles en d’autres occasions, mais qu’elle ne comporte pas. D’autres seraient tentés de lui préférer les livres d’Esdras et de Néhémie, si pleins de principes édifiants, appliqués à nos circonstances actuelles, mais ne présentant pas de types prophétiques, parce que ces derniers sont contenus dans les prophètes contemporains, Aggée, Zacharie et Malachie. Mais, je le répète, lorsque nous percevons le murmure du courant souterrain, que de mystères ne découvrons-nous pas ? La puissance divine concentrée en une personne ; l’homme libérateur, élevé à la royauté et couronné ; l’ennemi juré de celui qui représente le peuple, jugé et condamné ; l’épouse gentille répudiée ; l’épouse juive sortie de sa captivité et devenant la femme du grand Roi ; le résidu passant à travers une grande tribulation, jusqu’à l’intervention du Libérateur ; — la paix et la joie succédant à cette délivrance !
Chose étonnante, l’opposition
des hommes contre Christ s’attaque très particulièrement à ce livre, en apparence
si conforme aux principes qui
régissent le monde. C’est que ceux qui le combattent y sentent vaguement
l’existence d’un secret qu’ils ne peuvent ni voir, ni connaître, et que
cependant ils haïssent.
Des circonstances spéciales expliquent pourquoi ces choses sont présentées, d’une manière si secrète et avec des types, en apparence si incomplets ; pourquoi ces types peuvent rester ignorés même du lecteur croyant, mais sans intelligence spirituelle. Le peuple, comme nous l’avons déjà dit, n’existe plus ; tout lien qui l’attachait à Dieu est brisé : le Maître de la moisson dort. Quand nous assistons ici à la grande tribulation, à la « détresse de Jacob », le caractère de ceux qui la traversent est bien différent de ce que nous rencontrons d’habitude dans les Psaumes et les prophètes. Nous n’avons pas, dans le livre d’Esther, le spectacle d’un résidu repentant et intègre, reconnaissant qu’il a mérité son châtiment, et criant à Dieu des lieux profonds avec la conscience qu’il n’échappera pas, si Dieu prend garde à ses iniquités. Ici, au contraire, tout lien avec Dieu étant rompu, le peuple qui n’est plus « bien-aimé », n’entrevoit aucune possibilité de délivrance. Un seul homme, Mardochée, qui va en être l’instrument, sait qu’elle viendra. Autres que les sentiments exprimés dans le livre d’Esther, sont ceux du résidu remonté à Jérusalem sous Zorobabel et Esdras. Tout en étant Lo-Ammi, il a la conscience de ses rapports avec l’Éternel. Aussi, dans le livre d’Esther, la détresse est-elle plus grande et plus poignante, quoique ce soit proprement le résidu, demeurant à Jérusalem, qui, dans les temps prophétiques, sera mis à mort ou subira le martyre. Ici, disons-nous, la détresse est plus angoissante, fait pousser des cris « grands et amers », et cependant, en fin de compte, pas un cheveu de leur tête ne tombe dans le pays étranger. Leur condition est celle de la femme poursuivie par le dragon, en Apoc. 12:16 ; tandis que celle du résidu, resté en Judée et à Jérusalem, nous est indiquée au v. 17 de ce même chapitre. Dans ce dernier cas, nous rencontrons une foi active, un profond sentiment du péché, la repentance, l’espérance qui s’exprime dans les Psaumes par les mots : « Jusques à quand ? », l’attente de l’apparition du Messie. Dans le premier cas, l’angoisse terrible d’une destruction qui semble prochaine et inévitable, est encore aggravée par le sentiment qu’ils ont, de faire partie de Juda et de Benjamin ; et, devant leur perte imminente, ils n’ont aucune certitude, mais cependant, malgré tout, une lueur d’espoir. « Peut-être… », « Qui sait… », dit Mardochée (*).
(*) Consultez pour la grande tribulation : Jér. 30:4-11 ; Daniel 12:1 ; Matt. 24:21-22.
Historiquement, le résidu resté en Perse, dans le livre d’Esther, appartient aussi bien à Juda que ceux de ses membres qui sont rentrés en Palestine (*).
(*) Il en sera de même dans les temps prophétiques de la fin. Les uns resteront à Jérusalem, les autres fuiront parmi les nations (Matt. 24:15-19).
La Parole ne nous présente donc pas ici deux résidus de Juda, mais le résidu de Juda, dans deux situations différentes : l’une correspondant au degré de foi et d’obéissance que le peuple avait montré pour retourner dans son héritage et rebâtir le temple, l’autre, à son indifférence et à son infidélité. Seulement Dieu se sert des circonstances du peuple resté en Perse, pour nous donner, dans le livre d’Esther, une idée de l’extrême détresse future d’Israël. Le vaisseau désemparé a perdu son gouvernail, sa boussole, ses mâts et ses voiles ; il est ballotté ça et là dans la nuit, poussé vers des récifs qui, en un instant, vont le briser et l’engloutir. Point d’espoir, point de secours ! Et pendant ce temps, une main mystérieuse prépare la délivrance par un événement qui abat les flots en courroux et « conduit le navire au port qu’il désirait ». Et ce port, c’est la grâce qui introduit le peuple en paix dans la joie et la gloire du royaume. Ainsi, toute l’histoire prophétique d’Israël est résumée, en type, dans ces quelques pages du livre d’Esther : la nation rejetée et asservie ; l’épouse juive, esclave d’abord, puis reçue en grâce, et reine des nations ; la grande tribulation, pendant laquelle aucun cheveu de leur tête ne tombe dans le pays étranger ; le jugement atteignant leurs adversaires ; le règne de paix introduit !
Le livre d’Esther est donc
l’histoire de la dispersion future de Juda parmi les nations et, dans un
sens
, nous pourrions l’appliquer à la dispersion qui a suivi la mort de
Christ jusqu’à nos jours ; mais ce récit, comme nous l’avons dit, va
beaucoup plus loin que l’époque actuelle ; il aborde en type l’histoire du
résidu de Juda, dispersé dans un jour futur parmi les nations, tandis qu’une
partie d’entre eux continuera son témoignage à Jérusalem. Tous seront
profondément éprouvés dans leur conscience, mais la Parole ne mentionne pas ce
travail moral dans le livre d’Esther, afin de concentrer notre attention sur
les rapports interrompus entre le peuple et Dieu, sur la profondeur de leur
détresse, et sur la grandeur de la grâce qui opère leur délivrance.
Le récit commence par la
description des solennités sans exemple, même à notre époque, célébrées pendant
six mois par le roi Assuérus (Xerxès) à Suse, capitale de l’empire persan. Le
prophète Daniel avait prédit ce faste, en disant : « Voici… le quatrième (roi de
Perse) deviendra riche de grandes richesses plus que tous, et quand il sera
devenu fort par ses richesses, il excitera tout contre le royaume de Javan (la
Grèce). » (Dan. 11:2). « La troisième année de son règne » correspond, selon
l’histoire, à celle où son expédition formidable contre la Grèce, qui avait
déjà résisté victorieusement à Darius, son père, fut décrétée. Nous ne doutons
pas que tout ce déploiement de luxe et de puissance, n’eût pour but de préparer
cette expédition en se concertant avec les princes, les nobles et les chefs des
cent vingt-sept provinces de cet immense empire. Un terme spécial qui
caractérise certains d’entre eux, nous semble indiquer ce dessein. Il est parlé
des puissants,
venant en première
ligne après les princes du royaume. Ce mot, « les puissants », signifie
proprement la puissance armée, c’est-à-dire les chefs ou généraux de l’armée.
Hormis ce détail, il n’est pas fait la moindre allusion au but de cette
réception fastueuse. Comme nous l’avons dit, dans l’introduction, ces immenses
préparatifs n’ont d’intérêt, dans la Parole, que selon la mesure dont ils
intéressent le peuple de Dieu, ou préparent — comme ce fut le cas ici — la
chute de l’empire des nations, ces dernières n’ayant pas répondu au but de Dieu
qui leur avait confié la puissance souveraine à la suite de l’infidélité de son
peuple. Combien cette constatation rapetisse, pour le croyant, tous les plans
politiques des hommes ! Il suffit que Dieu dise à la mer qui menace de
recouvrir le monde : Tu n’iras pas plus loin ! pour que son effort
s’évanouisse comme le vent qui l’a déchaînée. Et cela, parce que, au milieu de
ce faste sans précédent — car, outre ses richesses fabuleuses, Assuérus régnait
sur 127 provinces, tandis que Darius le Mède, quelque puissant qu’il fût, n’en
avait que 120 sous son sceptre (Dan. 6:1) — Dieu se souvenait d’un peuple
dispersé, anéanti, objet du mépris et de la haine de ses oppresseurs. Ce
peuple, nous allons le voir paraître sur la scène.
Disons auparavant quelques mots d’Assuérus, et voyons comment la Parole nous le dépeint. Son caractère naturel ressort dans ce livre d’une manière très frappante, et la ressemblance du portrait biblique serait confirmée, si cela était nécessaire, par ce que l’histoire nous apprend de lui. Assuérus offre un singulier mélange d’orgueil et de faiblesse. Son orgueil est entretenu par la coutume établie en tout temps par les grands et les gouverneurs, que la loi des Mèdes et des Perses était irrévocable. Cette coutume donnait au roi l’illusion d’être lui-même un personnage sacré, immuable, tout en fournissant aux grands un moyen de se soustraire à l’arbitraire du trône. C’est ce que ces derniers avaient invoqué jadis sous Darius le Mède, afin de perdre le prophète Daniel. Les demandes et prières faites pendant 30 jours dans l’empire ne devaient être adressées qu’à Darius, ce qui l’élevait, comme monarque, au rang divin. L’orgueil d’Assuérus le pousse à déployer le faste le plus hyperbolique pour éblouir ses grands et son peuple. Il est décrété, en outre, que si quelqu’un paraît devant lui sans y être invité, il sera mis à mort. Nul ne peut voir la face d’un dieu et vivre, à moins, preuve nouvelle de sa volonté souveraine, que le roi ne lui tende son sceptre d’or et ne le reçoive en grâce.
La conscience orgueilleuse de sa toute-puissance s’allie chez Assuérus à une violence terrible de caractère, quand un obstacle ou une résistance se trouvent sur son chemin. Nombre de fois, dans le cours de ce récit, le roi se met fort en colère et sa fureur s’embrase (1:12 ; 2:1 ; 7:7, 10). La violence n’est jamais le signe de la force, mais dénote, au contraire, la faiblesse d’un homme incapable de se maîtriser. Cette faiblesse se révèle encore dans le fait qu’Assuérus, malgré ses prétentions de souverain divinisé, est le jouet de ses favoris et leur laisse usurper sa place, quitte à les accabler de sa vengeance quand ils lui auront déplu. Ajoutons encore, qu’ayant, au sujet de la reine Vasthi, une décision à prendre qui ne regarde que lui-même, il s’entoure de conseillers qui lui persuadent que l’acte de la reine touche à l’organisation même de l’état.
Mais, si Assuérus est faible et violent, il est aussi indifférent à la misère de ses sujets ; il autorise les actes les plus cruels, pourvu qu’ils lui épargnent le souci d’une investigation, et livre à un méchant, son favori, des milliers de têtes dans son empire. De fait, cet homme redoutable est sans caractère au milieu de l’appareil de la Toute-Puissance.
Et cependant, chose étrange à
dire, nous trouvons en Assuérus, s’arrogeant des prérogatives divines, un type
de la puissance de Dieu
; car,
en un temps où Dieu cache sa face à son peuple, il a confié la souveraineté aux
chefs des nations. Donc, Dieu se sert de ce monarque — dont l’ambition sans
frein ne cherche qu’à s’égaler à Lui, en assouvissant ses passions — pour nous
représenter l’autorité et la puissance divine s’exerçant souverainement, en vue
de faire grâce à son peuple et de transmettre le pouvoir administratif à
l’homme de son choix. Ainsi, c’est le Souverain seul qui a droit de faire
grâce ; et cette vérité, cachée sous des ombres, apportait quelque
réconfort à ce peuple affligé et misérable. Nous ne pouvons assez insister sur
cela. Tandis que Dieu s’était détourné de son peuple, il restait, aux yeux de
la foi, un principe d’autorité, le droit d’élever et d’abaisser, le droit de
faire grâce, personnifié dans le chef des nations, auquel Dieu l’avait confié à
la suite de l’infidélité de son peuple. Donc Assuérus, qui en réalité usurpait
la place de Dieu, a, en type, l’autorité divine et la représente. Il a le
pouvoir suprême, manifesté en figure
dans
un livre où Dieu est caché, mais où il Lui convient de montrer que son autorité
subsiste malgré tout. Assuérus est aussi le type du pouvoir divin vis-à-vis
d’Esther et pour Mardochée, comme nous le verrons plus tard.
Cette vérité, familière à
ceux qui connaissent les types de l’Ancien Testament, nous conduit à d’autres
constatations. Dans le chapitre qui nous occupe, nous voyons Vasthi, l’épouse gentile,
se montrer rebelle, insoumise
et désobéissante, envers celui dont la faveur l’avait élevée au trône. Fière de
sa position et de ses prérogatives, elle ne craint pas de montrer son
indépendance vis-à-vis du chef dont elle dépend, et refuse de montrer
publiquement sa beauté. Cette révolte a pour conséquence sa répudiation comme
épouse, et la vierge juive captive est appelée à prendre une place qu’elle
n’avait jamais eue, comme épouse du grand roi. Selon les sages qui entourent
Assuérus, la révolte de Vasthi, si elle était tolérée, sanctionnerait partout
dans le royaume l’indépendance individuelle, Il faut donc qu’il y soit mis
ordre : l’épouse gentile est entièrement répudiée. Et c’est ce qui arrivera à
l’Église, sortie des nations, envisagée dans son caractère de chrétienté responsable
. Elle sera
abandonnée à son sort et vaudra pas mieux, pour le Souverain, que la dernière
des prostituées. Elle disparaîtra et ne sera plus jamais mentionnée.
Au point de vue moral, ce chapitre 1 a aussi son enseignement. La puissance sans bornes d’Assuérus est tenue en échec par une faible femme qui lui résiste. Un grain de sable abaisse tout l’orgueil de cet empire démesuré et si bien organisé. Vasthi peut être répudiée, mais son acte demeure, et le roi humilié est impuissant pour la forcer à paraître. Si elle s’était repentie, qu’en serait-il résulté ? Ici, dès le début, nous trouvons à l’œuvre la Providence cachée de Dieu. L’homme est plein de projets grandioses ; une fête de sept jours, couronnement de ces longues solennités, amène la révolte de Vasthi contre la décision du roi. Sa répudiation décrétée et irrévocable ne s’accomplit qu’au retour d’Assuérus, quand l’épouse juive, préparée par la Providence, peut entrer en scène et être substituée, au moment voulu, à l’épouse gentile.
Le chapitre 1 était un préambule, destiné surtout à nous montrer la répudiation de l’épouse gentile, qui avait refusé de montrer sa beauté aux nations. Le chapitre 2 introduit sur la scène les deux personnages principaux du livre, et nous fait connaître comment la Providence prépare secrètement les voies qui élèveront publiquement l’épouse juive à la royauté sur les nations. Le premier de ces personnages est Mardochée.
Mardochée était l’arrière-petit-fils de Kis, homme de la tribu de Benjamin, emmené captif de Jérusalem (*) à Babylone, sous Jehoïakim (Jéconias). Ce Kis était sans doute de la race de Saül, comme son nom l’indique, car en 1 Chr. 9:36, nous rencontrons déjà un Kis, oncle de Kis, père de Saül. Il est vrai que ce nom est aussi mentionné comme appartenant à des membres de la famille lévitique (**), mais probablement établis sur le territoire de Benjamin. Quoiqu’il en soit, le nom de Kis était célèbre par sa liaison avec la royauté, jadis établie de Dieu en Israël, mais rejetée par lui à cause de son infidélité, et nous pouvons penser que l’arrière-grand-père de Mardochée appartenait à cette race royale détrônée. Tandis que, lors de l’édit de Cyrus, le dernier représentant de la famille de David, Zorobabel, était remonté à Jérusalem avec la partie fidèle de Juda, un représentant de la famille de Saül, était resté avec le peuple ruiné et rejeté, comme l’avait été jadis son roi infidèle. Mardochée était lui-même en servitude. Il n’avait pas profité de l’édit de Cyrus pour remonter à Jérusalem (***), non par indifférence, mais parce que, comme Daniel et Néhémie, il avait une charge à la cour, et ne pouvait s’absenter sans une autorisation spéciale que, probablement, la position qu’il occupait lui interdisait de demander. Il était « assis à la porte du roi » (2:19, 21 ; 6:12). On voit Daniel lui-même occuper cette place (Dan. 2:49), au moment où il était élevé en dignité, gouverneur de la province de Babylone et grand intendant de tous les sages de Babylone. C’était sans doute une place subalterne, mais de confiance, impliquant, comme on le voit dans la suite de notre récit, une surveillance spéciale de la personne du souverain. Tel était cet homme et sa fonction ; nous apprendrons plus tard à connaître son caractère.
(*) Jérusalem était le domaine commun de Juda et de Benjamin (1 Chr. 82:8, 32).
(**) 2 Chr. 15:17 ; 6:44 ; 23:21, 22 ; 24:28, 29 ; 2 Chr. 29:12.
(**) Le Mardochée d’Esdras 2:2, et de Néhémie 7:7, ne peut être le même personnage.
Mardochée élevait chez lui, comme sa fille, sa cousine Esther (*), file de son oncle, orpheline de père et de mère. Il y avait entre ces deux êtres, le père adoptif et la fille adoptive, une relation de cœur très étroite. Esther était caractérisée avant tout par son obéissance aux ordres de Mardochée, qu’elle en comprît ou n’en comprît pas la portée. Il lui avait défendu de faire connaître son peuple et sa naissance : Esther obéit, car « elle faisait ce que Mardochée disait, comme lorsqu’elle était élevée chez lui » (v. 20). Le temps n’était pas venu pour déclarer son origine.
(*) Esther avait nom
Hadassa, qui signifie Myrte.
Les noms
de l’Ancien Testament sont si souvent symboliques, que je n’hésite pas à voir
dans celui-ci le gage de la restauration du peuple. (Voyez le livre de
Zacharie, par H. R., p. 15)
Assuérus, revenu de son
expédition, car quelques années s’étaient passées depuis les événements
rapportés au chapitre 1 (voyez 1:3 ; 2:16), se souvient de ce qu’avait
fait Vasthi. Préoccupé d’autres soins et d’intérêts plus urgents, il avait
laissé à sa colère le temps de s’apaiser. Il a maintenant le loisir de penser à
sa race et à l’organisation civile de son royaume ; suivant l’avis de ses
conseillers, des jeunes filles vierges et belles de figure sont amenées à Suse
de toutes les contrées de son empire, pour que le choix du roi se fixe sur
l’une d’elles, en remplacement de Vasthi. Esther, avec beaucoup d’autres,
remplissait ces conditions. Avait-elle donc des avantages qui la distinguassent
de toutes ses compagnes ? Certes, son origine l’aurait fait exclure dès le
début ; et Mardochée, ayant conscience de l’abaissement de son peuple, le
savait fort bien. Esther est donc une épouse cachée,
mais sa grâce et sa beauté lui attirent les sympathies et
l’amour de tous. Elle plaît à Hégaï, gardien des femmes, et trouve faveur
devant lui, et de même auprès de tous ceux qui la voient ; elle plaît au
roi, « plus que toutes les femmes », et est élevée, dans son caractère encore
secret, à la dignité de reine des nations, en place de Vasthi.
En toutes ces choses, nous
voyons une Providence qui dirige selon sa volonté les pensées et les cœurs des
hommes, les pensées et le cœur du roi, afin de faire aboutir ses desseins de
grâce à l’égard de son peuple. La seule épouse qui puisse remplacer l’épouse
gentile est l’épouse juive, membre d’un peuple répudié, et le Seigneur
manifestera cela quand les temps seront révolus. Mais, en même temps que ces
voies de la Providence divine envers Israël, préparant dans le secret le règne
futur de son peuple sur les nations, quel abaissement dans sa condition
actuelle ! La femme juive, forcément soumise, comme une esclave dont on
dispose, sans la consulter, au roi des gentils ! Sa volonté n’est pour
rien dans cette alliance ; elle y est forcée ; une position pareille
pouvait être désirable, au suprême degré, pour toutes les vierges de
l’empire ; elle ne peut l’être pour Esther. Ce qui caractérisait une femme
juive, c’était la soumission et la dépendance, librement consenties, comme chez
Rebecca, quand elle dit : « J’irai » ; c’était l’affection respectueuse de
Sara, la sainte femme qui, d’elle-même, appelait Abraham : « son seigneur » ;
c’était l’amour enthousiaste d’Abigaïl, se jetant aux pieds de David, et
aspirant, pour le servir, au rôle de servante de ses serviteurs ; c’était
la fille du Ps. 45, « inclinant son oreille, oubliant son peuple et la maison de
son père », belle d’une beauté d’abnégation qui la fait désirer par le roi,
alors qu’elle reconnaissait sa toute-puissante seigneurie en l’adorant !
Ce dernier caractère sera, dans l’avenir, celui d’Israël rentré en grâce auprès
du Seigneur de gloire, du futur roi d’Israël ; mais ici, quel contraste !
l’asservissement involontaire, forcé, à un joug qui est la conséquence du péché
du peuple. La loi (Deut. 7:3) défendait ces mariages, prescrivait à l’Israélite
de ne pas donner sa fille à un gentil, mais ici tout avait changé : les rois des
nations dominaient sur les Juifs infidèles ; Dieu s’était retiré, et
Néhémie était obligé de dire : « Voici, nous sommes aujourd’hui serviteurs… Les
rois que tu as établis sur nous, à cause de nos péchés, dominent à leur gré sur
nos corps » (Néh. 9:36-37). C’est donc dans cette position disparate : d’un côté,
d’asservissement, avec nécessité de cacher son origine ; de l’autre côté,
d’élévation à la dignité royale, que nous est montrée cette fille d’Israël.
N’est-elle pas le type de l’épouse future, cachée d’abord aux yeux de tous,
puis publiquement reconnue par le Seigneur, grand roi des nations, dont toutes
les voies sont justes et véritables ? (Apoc. 15:3). Esther se montre
soumise aux ordres de son conseiller. Elle témoigne la crainte
vis-à-vis d’Assuérus, mais envers Mardochée la soumission
, la dépendance
— « elle faisait ce que Mardochée disait, comme
lorsqu’elle était élevée chez lui » — unies à la sagesse
qui discerne en toutes choses ce qui convient ; à la prudence
qui ne compromet ni son père
adoptif, ni son peuple ; à la patience
qui sait attendre le moment ; à la décision
qui saisit l’occasion ; à la confiance
qui s’en remet en tout point aux instructions de Mardochée, dont la parole est
pour Esther comme la parole de Dieu
.
À ce sujet, il est bien remarquable, comme nous l’avons déjà noté, qu’en un
temps où les Écritures étaient connues et enseignées parmi les Juifs, ce livre
n’en fasse pas mention une seule fois. Cependant, chez Esther, la foi à la
Parole existe, à la parole prononcée par un homme, qui n’aurait eu que des droits
éloignés à se faire écouter, mais qui, pour le cœur d’Esther, personnifie
l’autorité divine. Comme tout cela caractérise bien ce livre, où même la prière
et la supplication ne sont pas mentionnées ; car elles ne pouvaient
s’adresser à un Dieu détourné du peuple qui l’avait déshonoré. Cependant le
lien subsistait malgré tout, mais n’était visible que de Dieu seul. Sous toute
cette surface de désert moral et de servitude étrangère, nous retrouvons le
courant caché, échappant à l’œil de l’aigle, mais non à l’œil de la foi qui
peut le suivre dans ses secrets détours, et n’attend que le moment où il
jaillira au grand jour, lors de la restauration d’Israël. Partout nous
rencontrons ce secret. Le monde suit ouvertement son train, les grands prennent
leurs décisions, le roi les approuve — et cependant toutes ces choses sont
décidées mystérieusement par Celui qui dirige, comme il l’entend, l’esprit, les
projets, les décisions des hommes, et n’en permet aucune, sinon pour accomplir
ses desseins, et en amener enfin la manifestation publique. Mardochée lui-même
veille en secret sur Esther avec une sollicitude touchante (v. 11), ce qui ne
l’empêche pas de veiller sur le roi, que Dieu, par la faute du peuple, lui a
donné pour maître. Tout cela est fort beau, et dénote chez Mardochée une grande
intelligence des pensées de Dieu, une rare soumission à sa volonté. Quand le
complot des deux eunuques vient à sa connaissance, tandis qu’il « est assis à la
porte du roi », il n’hésite pas un instant à se servir d’Esther pour le dévoiler
et mettre ainsi les jours d’Assuérus à l’abri.
Dans ce chapitre, le beau caractère de cet homme de Dieu commence à se montrer. Il se substitue aux parents qu’Esther avait perdus, et la recueille chez lui. C’est, dans un sens, un rôle divin : « Quand mon père et ma mère m’auraient abandonné, l’Éternel me recueillera » (Ps. 27:10). Il l’élève avec soin, veille sur elle avec une sollicitude maternelle ; puis, dans ses rapports avec la cour, veille ouvertement sur le roi, assis à sa porte, pour écarter tout danger de sa personne. Le sort d’Esther étant lié à l’existence d’Assuérus, Mardochée devient le sauveur de ce dernier, puis rentre dans le silence, ne demandant rien pour lui-même, et se laissant diriger par la Providence, la seule chose qui reste à sa nation opprimée. C’était elle, qui avait amené les gardiens du seuil à dévoiler leurs projets en présence de Mardochée ; elle, qui avait préparé l’oreille d’Esther à recevoir cette communication ; elle, qui avait fait consigner ces choses dans le livre des Chroniques, en présence du roi. De plus en plus, le courant caché poursuit sa course souterraine pour nous amener enfin à la délivrance finale sous un règne de paix et de justice.
Esther, la Juive, devenue
l’épouse de celui qui exerce le pouvoir suprême, est reconnue en public par le
roi qui met la couronne sur sa tête, et fait en son honneur un grand festin,
« le festin d’Esther ». Mais si elle est reconnue
comme reine, ce qu’elle est réellement
n’est pas encore manifesté.
Mardochée
qui, de fait,
avait toute autorité
sur elle, lui avait commandé de ne pas faire connaître sa naissance. Il en sera
de même à la fin des temps. Avant que le Seigneur reconnaisse publiquement
l’origine de son épouse juive, objet des promesses et des conseils de Dieu,
pour avoir la royauté sur les nations, il aura cette épouse, mais pas encore
publiquement manifestée, sous la forme d’un résidu méprisé, puis persécuté, qui
trouvera néanmoins grâce auprès de plusieurs, mais dont la beauté sera conunue
de son Époux, avant qu’il puisse la présenter au monde. Alors l’épouse juive ne
sera pas désobéissante, comme le fut l’épouse gentile ; elle sera, sur la terre
, le pur reflet de la gloire de son Époux, comme la vraie Église
glorifiée, le sera dans le ciel.
En abordant le chap. 3,
remarquons sa relation avec les chapitres qui précèdent. Le sujet capital du
chap. 1 est la désobéissance de l’épouse gentile. Après ces
choses
(2:1), vient, au chap. 2,
l’avènement de l’épouse juive, cachée aux yeux de tous quant à son origine,
mais déjà aimée et reconnue du souverain avant la grande tribulation qui
tombera sur le résidu de Juda et de Benjamin. Après ces
choses
(3:1), nous trouvons, au chap.
3, l’avènement de l’ennemi héréditaire, soutenu par le chef des nations et
tirant de lui son autorité. Il devient, avec la connivence de l’empire, le
promoteur de la grande tribulation ; mais la grâce de Dieu délivre le
peuple de la main de l’ennemi, pour donner à Mardochée et à Esther la première
place dans le royaume.
Cherchons maintenant à nous rendre compte de l’origine et du caractère d’Haman. Il était fils d’Hammedatha, l’Agaguite (v. 1). Agag est le titre des rois d’Amalek, titre probablement générique, comme celui du Pharaon, roi d’Égypte (1 Sam. 15:9, 32 ; Nomb. 24:7). Haman était donc de race royale. Amalek, le peuple d’Haman, descendait d’Ésaü, par Éliphaz : il est primitivement un chef, puis devient une peuplade d’Édom (Gen. 36:12, 16). Sous Ézéchias, en effet, on voit que les restes d’Amalek demeuraient parmi les Édomites, c’est-à-dire dans « la montagne de Séhir », territoire de ces derniers (1 Chr. 4:41-43). Amalek occupait la région sud-est des monts de Séhir, et probablement une partie des déserts de Sin et de Paran. Cette position géographique explique l’intérêt capital qu’avait Amalek (Ex. 17) à s’opposer à la marche d’Israël pour entrer en Canaan ; car il occupait les premiers contreforts de la Palestine et en défendait la frontière méridionale (Nombres 13:30 ; 14:45 ; 1 Sam. 15:7 ; 27:8), par laquelle cette contrée était le plus facilement abordable.
À diverses reprises, nous voyons Amalek ligué avec d’autres nations contre Israël ; ainsi, en Jug. 3:12, 13, avec Moab, ce qui explique la mention d’Agag dans la prophétie de Balaam contre Balak, roi de Moab (Nomb. 24:7). Au chap. 6:3, des Juges, nous le voyons associé à Madian dans une haine commune contre le peuple de Dieu. Les Amalékites furent défaits par Saül (1 Sam. 15), et finalement par David (1 Sam. 30:17) (*), selon la prophétie de Balaam sur « l’étoile qui surgira de Jacob, et le sceptre qui s’élèvera d’Israël ». Alors, dit le prophète, « Amalek était la première des nations ; et sa fin sera la destruction » (Nomb. 24:17-20). Comme prophétie accomplie, cette étoile est David, et, comme prophétie non accomplie, Christ, le fils de David.
Note Bibliquest : voir toutefois 1 Chr. 4:43
Nous avons donc affaire, en
Amalek, à l’Ennemi du peuple de Dieu. C’est Amalek qui, le premier, s’oppose à
la marche d’Israël, sortant d’Égypte (Ex. 17), lui qui poursuit et extermine
sans pitié les faibles, les traînards, d’un peuple fatigué par la traversée du
désert. Il est, en un mot, l’Ennemi
;
il est l’image de Satan, l’Ennemi par excellence ; il s’oppose aux
desseins de la grâce de Dieu envers son peuple.
Sans l’intercession de Moïse sur la montagne et sans Josué, il anéantissait le peuple. Quand ce dernier a pris possession du pays, il cherche à l’anéantir en détail. Vaincu finalement par David, il ne considère pas encore la lutte comme terminée. Maintenant que le peuple est captif, réduit par son infidélité au dernier degré d’abaissement, il anime la personne d’Haman, l’Agaguite, pour exterminer les faibles restes de ce peuple et, ne l’oublions pas, son but caché est de soustraire Israël à Christ, le roi des conseils et des promesses de Dieu. Peut-il y avoir un dessein d’une ruse plus satanique que celui-là ? Frustré dans ses efforts, comme ce livre nous l’apprend, Satan ne se tient pas pour battu. Il s’attaque au Chef même d’Israël, à Christ. Il essaie à sa naissance de le faire mourir, par le moyen d’un nouvel Agag, dans le meurtre de Bethléhem. Il est déçu de nouveau et soulève, à la croix, le monde entier contre Christ ; et c’est au moment où il croit triompher dans la mort, qu’il est définitivement vaincu. Cependant il conspirera jusqu’au bout contre l’Éternel, son Oint et son peuple. Aussi l’Éternel a juré qu’il aurait « la guerre contre Amalek, de génération en génération » (Ex. 17:16). Israël ne devait pas oublier d’effacer la mémoire d’Amalek de dessous les cieux (Deut. 25:19), terrible jugement, auquel nul n’est comparable dans la Parole, si ce n’est celui d’Édom, dont Amalek faisait partie !
Revenons au livre d’Esther.
Israël est esclave, sans défense et rejeté ; seul, le rejeton d’une
famille royale réprouvée, résiste à l’Agaguite. Tout doit favoriser les
desseins de celui-ci ; mais, s’il hait le peuple, c’est à sa tête
qu’il en veut, au seul qui refuse
de courber le genou devant lui et de lui rendre hommage, obscure image de Celui
qui, en un temps futur, refuse de reconnaître Satan, lorsque, du haut de la
montagne, il lui montre tous les royaumes de la terre. Ce descendant d’Agag,
apparaissant subitement sur la scène, venant on ne sait d’où, mais actuellement
porté à la dignité suprême par le roi des nations, qui l’élève et place son siège
au-dessus de tous les princes, cet ennemi juré d’Israël, ce Méchant,
réussira-t-il dans ses
desseins ? Si nous nous reportons à la fin de l’histoire prophétique
d’Israël, nous nous rendrons encore plus exactement compte de tout ce que cette
scène signifie. Nous trouvons dans l’Apocalypse une sorte de trinité satanique
liguée contre Christ et contre son peuple. C’est d’abord Satan,
dont l’esprit anime les puissances de ce monde ;
ensuite, le chef du quatrième empire,
comme
Assuérus est le chef du second ; enfin l’Antichrist.
Ce dernier sera exalté par le souverain du quatrième empire, comme Haman le
fut par Assuérus. Israël, ce pauvre oiseau craintif, pourra-t-il échapper au
filet de l’oiseleur ? Nous apprenons, par la prophétie, que tout le projet
satanique pour anéantir le résidu d’Israël ne réussira pas mieux qu’il n’a
réussi dans l’histoire d’Esther.
Nous avons déjà cherché à
décrire le caractère d’Assuérus et celui d’Esther, nous réservant de
développer, au cours de ce récit, puis de résumer celui de Mardochée ;
mais nous pouvons dès l’abord faire le portrait de l’ennemi qui reparaît ici
d’une manière si inopinée. C’est l’orgueil indomptable, l’exaltation, la
déification de lui-même, la haine atroce contre le peuple de Dieu et contre
celui qui le représente. Or, pour se venger de lui, il sacrifie la nation tout
entière. C’est enfin la ruse et l’habileté infernale déployées pour ce meurtre.
C’est, en un mot, l’incarnation de
l’esprit du mal.
N’est-il pas celui qui dit : « Venez, et exterminons-les, de
sorte qu’ils ne soient plus une nation et qu’on ne fasse plus mention du nom
d’Israël » ? (Ps. 83:4). Mardochée, le « pauvre homme » sans défense,
pourra-t-il lui résister ? La merveilleuse délivrance du peuple se
renouvellera-t-elle, maintenant qu’Israël n’est plus le peuple de Dieu, qu’il
n’y a plus de Moïse et d’Aaron intercédant pour lui, plus de Josué pour le
conduire, et qu’un simple décret du roi suffit pour l’anéantir tout
entier ? Amalek triomphera-t-il ici, quand Israël est sans armes et sans
ressources ? Mais a-t-il triomphé de Christ à Bethléhem, dans le désert,
sur la croix ? En toutes ces occasions, la victoire de Christ a été
complète, et cela en faveur de son peuple : sur la croix par le don de
lui-même ; au désert par la simple dépendance de la parole de Dieu. Mais,
pour Mardochée, la parole de Dieu est muette. On ne la trouve nulle part dans
ce récit, et pour cause (quoique de fait elle existât au milieu du peuple).
Mardochée a-t-il donc une ressource pour éviter la mort ? Rien n’est plus
facile, dira-t-on. Qu’il accepte l’édit du roi et rende hommage à Haman. Mais
non ; Mardochée se souvient
qu’il
y aura toujours guerre avec Amalek. Il ne se prosternera pas plus devant
l’Agaguite, que Daniel, devant Darius. La seule différence est qu’il était défendu
à Daniel de se prosterner devant
Dieu, tandis qu’il est ordonné
à
Mardochée de se courber et de se prosterner devant Haman. Vraie figure de
Christ par anticipation, Mardochée s’y refuse ; il peut dire comme son
Maître : « Va arrière de moi, Satan ! », il a guerre perpétuelle avec Amalek.
Il n’a pas d’autre raison de sa résistance à donner à son entourage, que le
fait qu’il est Juif
(v. 4). Il ne
peut pas, comme Daniel, déclarer ouvertement, par son attitude, qu’il est
serviteur de Dieu, car tous peuvent lui dire : « Où est ton Dieu ? » Cela
explique que, tout en défendant à Esther de déclarer son origine, lui est tenu
de déclarer la sienne (*). Cette déclaration
nous fait penser à la belle parole du Seigneur, en Gethsémané : « C’est
moi » ; seulement cette dernière attire le jugement sur Christ seul, pour
que les siens soient délivrés, tandis que la confession de Mardochée attire la
vengeance sur tout son peuple. Cette attitude n’est aucunement de l’orgueil
chez Mardochée : il reconnaît pleinement les droits du chef des nations sur lui
et son peuple, droits ordonnés de Dieu comme châtiment, mais nullement les
droits d’Amalek. Quoique placé sous le jugement, quoique apparenté à la race
royale rejetée, à cause de la chair, et que Dieu ne reconnaît plus, il obéit
néanmoins à la parole de Dieu, gardée dans son cœur, en ne se courbant pas
devant Amalek.
(*) C’est une belle confession, le seul témoignage qu’il puisse rendre à sa relation avec le Dieu d’Israël, mais un témoignage suffisant pour déchaîner contre lui la colère de l’ennemi.
Il y a une grande beauté dans ce caractère de Mardochée. Nous avons déjà vu ses soins, tendres et délicats pour la fille d’Israël captive ; nous voyons maintenant sa courageuse détermination d’obéir au commandement de Dieu, restant ferme, inébranlable, quoiqu’il puisse lui en coûter, marchant dans la dignité d’un Israélite, tombé sans doute au plus bas, mais objet, malgré tout, des promesses sans repentance et de l’élection de Dieu.
Pareille à la fureur de
l’Antichrist contre ceux qui ne reconnaissent pas sa puissance et son autorité,
et ne veulent pas porter sa marque sur leur front et sur leur main, la fureur
d’Haman contre un homme qui méprise sa personne et n’accepte pas son joug, ne
connaît plus de bornes. Mais ç’aurait été une chose méprisable à ses yeux de
mettre à mort Mardochée seul ; il faut que ce dernier soit frappé dans
tout son peuple. Haman jette le pur
(le sort), dans le but de savoir quand cette extermination aura lieu. Il a foi
dans cette pratique superstitieuse, comme l’Antichrist plus tard consultera le
« dieu des forces », car il faut une religion à l’homme le plus incrédule, à la
fois athée et superstitieux, fait que l’on peut constater chaque jour.
Vasthi s’était révoltée en la
troisième année d’Assuérus. Esther devient épouse du roi en la septième, et le
sort est jeté au début de la douzième année du règne de ce dernier. Le pur
indique le douzième mois pour le
massacre des Juifs ; pourquoi pas le troisième ou le quatrième, afin
d’ôter au peuple opprimé toute chance d’échapper ? N’est-ce pas encore et
toujours la Providence
cachée qui
dirige tout ? Que peut faire « l’oppresseur des Juifs » devant les conseils
secrets de la Providence ? Il est obligé d’obéir au sort qu’il a consulté,
et là commence sa course rapide à la mort et au jugement. Il n’a pas de peine à
convaincre le roi de la nécessité d’anéantir les Juifs : « Il y a un peuple
dispersé et répandu parmi les peuples, dans toutes les provinces de ton
royaume, et leurs lois sont différentes de celles de tous les peuples ; ils
ne pratiquent pas les lois du roi, et il ne convient pas au roi de les laisser
faire ». Haman propose d’enrichir le roi par cette destruction : « Je pèserai dix
mille talents d’argent entre les mains de ceux qui font les affaires, pour
qu’on les porte dans le trésor du roi ». Assuérus refuse l’argent et livre le
peuple à Haman, « pour en faire ce qui sera bon à ses yeux ». Quelle
indifférence, quel endurcissement de cœur chez ce roi ! Le nom d’Israël
n’a pour lui aucune signification : il fait la guerre à l’Éternel que ses
pères avaient connu, que lui ne connaît pas, mais le sort d’une multitude de
ses sujets ne lui importe aucunement. Un favori, un homme inique, chose
affreuse, a plus d’importance aux yeux d’un souverain qui devrait s’intéresser
à ses peuples, que l’existence de toute une nation ! Combien il diffère de
son père Darius, et de Cyrus, son ancêtre ! Ce décret, qui embrasse toutes
les provinces de l’empire, ira sans doute aussi atteindre et exterminer à
Jérusalem le résidu restauré, par l’ordre de Cyrus, et maintenu par ses
successeurs, et le roi ne s’en souvient pas ! « Fais, dit-il, ce qui est
bon à tes yeux », c’est-à-dire, fais le mal impunément ! L’anneau royal
orne la main d’Haman, qui en appose le sceau aux décrets meurtriers.
Haman écrit « au nom du roi », et se fait en apparence son humble serviteur dans les choses que lui-même a résolues et décrétées. Des circonstances semblables se renouvelleront à la fin des temps. L’Antichrist se fera le serviteur de la Bête romaine (Apoc. 13:14-16), pour accomplir ses propres desseins. Le plan satanique d’Haman a pour point de départ l’orgueil et l’ambition de l’homme qui préfère écraser toutes choses sous ses pieds que de les voir assujetties à Christ. Le décret se répand promptement dans les provinces de l’immense empire, grâce à un système de transmission qui ferait l’admiration du monde, s’il n’avait été mille fois dépassé par la génération actuelle.
Pendant ce temps, « le roi et Haman étaient assis à boire ! » D’une part inconscience, de l’autre joie satanique dans le mal. Le vin dans lequel l’homme puise l’oubli, qui l’entretient dans son indifférence, qui engendre la violence, qui provoque la joie de l’abrutissement au milieu des ruines qu’il accumule, le vin scelle cette alliance intime entre le prince des ténèbres et le souverain déifié des nations !
La ville de Suse, habituée à tout autre chose qu’à ces boucheries, capitale du faste, des jouissances, d’une civilisation raffinée, était dans la consternation ; tandis que le grand nombre des Juifs qui y habitaient était littéralement écrasé par ces nouvelles imprévues.
Plus que douze mois, et l’immolation sera accomplie. Toutes les dépouilles du peuple appartiendront à l’Amalékite. Plus que douze mois… Mais le Dieu caché aux yeux de tous veille, et son jugement est proche.
La sentence de mort est prononcée. Le résidu de Juda et de Benjamin tout entier se trouve sous cette menace, à laquelle aucune loi humaine ne peut rien changer, car le décret est irrévocable (*).
(*) Comme nous l’avons dit plus haut, bien que, selon tout le plan de ce livre, qui forme un épisode typique de l’histoire du peuple captif, il ne soit pas parlé du peuple remonté en Judée, il n’est pas douteux qu’il ne doive être compris dans le massacre ; car on le voit, en Esdras et Néhémie, en butte à la haine acharnée de ses ennemis.
Mardochée, les vêtements
déchirés, couvert d’un sac et de cendre, parcourt la ville, donnant essor à sa
désolation par un « cri grand et amer ». Il n’a plus même entrée dans la porte du
roi, car le deuil et les gémissements ne sont pas tolérés en sa présence.
Partout, dans les provinces, deuil, jeûnes, pleurs, lamentations parmi les
Juifs. Esther elle-même est dans une grande angoisse. Ne voyons-nous pas ici
une faible image anticipée de la « grande
tribulation
» future, « telle qu’il n’y en a point eu depuis le commencement
du monde jusqu’à maintenant, et qu’il n’y en aura jamais », en sorte que « nulle
chair n’eût été sauvée, si ces jours n’avaient été abrégés » ? (Matt.
24:21-22). Mais où trouver des ressources, quand il n’y en a aucune,
et que tout accès auprès d’un
Dieu justement irrité est intercepté ? C’est ce qui constituera, en effet,
cette tribulation sans exemple. Quand le chef des nations, indifférent au mal,
livre le peuple aux mains de son ennemi acharné, sans cœur et sans scrupules, à
qui recourir ? Pas un rayon d’espoir !
Il en reste un cependant,
mais des plus faibles ; c’est qu’Esther « entre vers le roi, le supplie et
fasse requête devant lui, en faveur de son peuple ». Mardochée le lui commande
; mais à quoi sert ce
commandement quand l’accès, même auprès du roi est fermé ? Esther charge
son messager de faire connaître ce fait à Mardochée : « Tous les serviteurs du
roi et le peuple des provinces du roi savent que pour quiconque, homme ou
femme, entre auprès du roi, dans la cour intérieure, sans avoir été appelé, il
existe une même loi prescrivant de le mettre à mort, à moins que le roi ne lui
tende le sceptre d’or, pour qu’il vive ; et moi, je n’ai pas été appelée à
entrer vers le roi, ces trente jours » (v. 11). Si Esther paraît devant Assuérus
sans y être invitée, et voici trente jours qu’il la néglige, elle sera mise à
mort, à moins… faible ressource… à moins qu’il ne plaise au roi de lui tendre
le sceptre d’or. Le seul moyen d’échapper est donc la grâce
de celui qui est revêtu de l’autorité souveraine. Mais
Esther peut-elle compter
sur cette
grâce ? Nullement ; tout dépend du bon plaisir du roi. Peut-on
compter sur le bon plaisir de celui qui vient, avec un mot, de rayer tout un peuple
de la terre des vivants ? S’adresser à Dieu ? Dieu se cache.
S’humilier ? Oui, certes, mener deuil, gémir, se lamenter, reconnaître le
péché qui a amené le peuple, appelé jadis le peuple de Dieu, dans une telle
extrémité. Mais encore, le cri grand et amer trouvera-t-il un écho ? Ce
temps de tribulation ne peut donc être terminé que par la parole de grâce,
sortie de la bouche du souverain Juge. Mardochée le comprend : « Ne pense pas »,
dit-il, « en ton âme d’échapper, dans la maison du roi, plutôt que tous les
Juifs » ; si tu ne recherches pas le seul et unique moyen d’échapper, « si
tu gardes le silence en ce temps-ci, le soulagement et la délivrance surgiront
pour les Juifs d’autre part,
mais toi
et la maison de ton père vous périrez ». Ici, on peut constater la foi de
Mardochée : elle s’attache résolument à la délivrance, de quelque manière, de
quelque côté qu’elle vienne. « Et qui sait si ce n’est pas pour un temps comme
celui-ci que tu es parvenue à la royauté ? » N’est-il pas possible que les
voies secrètes et providentielles qui t’ont placée sur le trône eussent en vue
ce temps de détresse ? La réponse d’Esther à Mardochée montre sa sagesse,
sa foi, son dévouement, son abnégation, son amour pour son peuple : « Va,
rassemble tous les Juifs qui se trouvent à Suse, et jeûnez pour moi, et ne
mangez ni ne buvez pendant trois jours, ni la nuit, ni le jour ; moi
aussi, et mes jeunes filles, nous jeûnerons de même ; et ainsi, j’entrerai
vers le roi, ce qui n’est pas selon, la loi ; et si je péris, je périrai ».
La faible ressource d’une grâce
possible,
mais hérissée d’insurmontables difficultés, lui fait considérer « la loi » comme
non avenue, et si elle ne rencontre pas la grâce, elle subira, s’il le faut, la
mort sous le coup de la loi. Et comme Esther obéit au commandement de
Mardochée, ce dernier agit maintenant selon tout le commandement d’Esther.
Merveilleuse scène, assurément ! La tribulation fait naître dans les cœurs de ces croyants une communion parfaite et tous les sentiments de dévouement, d’abnégation, que Dieu peut approuver et reconnaître. Les voies de Dieu envers eux produisent chez ces affligés la foi, n’ayant de ressource que dans une grâce, incertaine encore, dont ils ne se sentent pas dignes. Mais, quoiqu’il en soit, « la foi est l’assurance des choses qu’on espère », et cette parole de Mardochée en est la preuve : « Le soulagement et la délivrance surgiront d’autre part ». N’est-elle pas le pendant des mots : « Jusques à quand », répétés si souvent dans les Psaumes en pareille circonstance ?
Mais tout cela amène à la
conclusion qu’il faut
maintenant
qu’Esther se fasse connaître : la grande
tribulation mettra en lumière le caractère du résidu juif.
Jusqu’alors
Esther était restée cachée ; maintenant, dans l’épreuve, son origine va
paraître au grand jour. Au moment où Dieu interviendra, la nation sera
publiquement reconnue. Le témoignage de l’Épouse naît de la persécution, va
briller dans tout son éclat, se produit dans la tribulation ; mais il est
basé sur la grâce.
L’heure va sonner enfin, où les nations ne diront plus : « Où est ton Dieu ? »
Remarquons encore une fois,
en vue de ce qui va suivre, que le livre d’Esther, très différent de ses
contemporains, les livres d’Esdras et de Néhémie, offre des types, mais des
types plus ou moins cachés, en rapport avec tout son caractère. Si ce livre
n’existait pas, il y aurait une lacune dans les écrits divins. Reste-t-il, lors
de la grande tribulation, dont ce récit nous offre la figure, une ressource
pour le résidu absent de Jérusalem et dispersé au milieu des nations ?
Oui. Nous y voyons une épouse juive reçue en grâce par celui qui représente
l’autorité suprême et cela, après que l’épouse gentile a été répudiée. Ensuite
de la faveur qui lui est accordée, cette épouse sera reconnue publiquement
quant à son origine, élevée en dignité et en honneur comme la reine juive des nations,
objet de
l’affection de son mari, elle, dont « les filles des rois seront les dames
d’honneur » (Ps. 45:9). Esther représente le résidu juif selon le cœur de
l’Éternel, devenant le centre du peuple renouvelé. Mais, de plus, en ce temps
de tribulation, un sauveur
du peuple
nous est révélé dans ce livre — Mardochée, assujetti à toutes les conséquences
de l’infidélité d’Israël et au joug des nations, entreprend tout seul de
résister à Haman l’Agaguite, adversaire des Juifs. Il résiste au risque de sa
propre vie, mais est délivré de la mort, dont il ne fait qu’entrevoir les
limites ; bien inférieur en cela à Celui qui seul pouvait la goûter dans
son affreuse réalité et en sortir victorieux. Mardochée est délivré pour être,
comme nous le verrons, élevé à l’honneur suprême et procurer enfin la paix de
son peuple. Tout cela est plus ou moins obscur et doit l’être,
en un temps où Dieu a détourné sa face de son
peuple ; mais ce dernier trouve dans la grâce suprême une ressource qui ne
peut être saisie que par la foi. C’est ainsi que le résidu sera sauvé de la
grande tribulation. Si la foi seule peut saisir et reconnaître cette ressource,
l’accomplissement de cette délivrance dépend
aussi de la fidélité d’Esther.
Il en est de même dans les Psaumes, qui
contiennent à la fois le cri de la foi, comptant sur la grâce de Dieu, et
l’intégrité de cœurs fidèles à la parole et aux commandements de l’Éternel. De
même, Esther obéit au commandement de Mardochée, quels que soient les risques
de sa démarche. La délivrance dépend donc d’un côté de la grâce souveraine,
d’autre part de la foi et de la fidélité de l’épouse juive.
Confiante dans la parole de
Mardochée, Esther se présente devant le roi. À peine celui-ci l’a-t-il vue,
qu’il lui tend le sceptre d’or. Elle est
reçue en grâce
! Comme son cœur doit déborder de joie ! La
délivrance n’est pas encore accomplie, mais la grâce qui l’apporte est apparue
aux yeux d’Esther. « Que veux-tu, reine Esther », dit le roi, « et quelle est ta
requête ? Quand ce serait jusqu’à la moitié du royaume, elle te sera
donnée. » Dès le premier instant, elle est certaine de partager la moitié de ce
que le roi possède. Ses demandes peuvent s’étendre au-delà de toutes les
limites de ce qu’elle voulait demander. Mais aussi longtemps que l’Ennemi est
puissant, il lui faut joindre la prudence du serpent à la simplicité de la
colombe. Esther remet sa requête à plus tard, invite le roi et Haman à son
festin, et donne ainsi l’occasion au roi de confirmer sa promesse (voyez
v. 3 et 6). Or une promesse confirmée,
dans laquelle le souverain s’engage tout seul, ne peut être annulée.
Combien cette scène diffère de celle que nous voyons se dérouler au chap. 6 de l’évangile de Marc. Là aussi un roi, Hérode, dit les mêmes paroles à la fille d’Hérodias : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, jusqu’à la moitié de mon royaume ». Mais Hérode parle avec un cœur allumé par ses désirs coupables ; celle qui lui répond veut le meurtre du Précurseur, témoin et prophète du grand Roi. Satan inspire tout cela, lui, le meurtrier qui règne par les convoitises. Ici quel contraste ! L’affection du roi est attirée par la grâce de son épouse. Elle se présente à lui, et il la désire, lui qui a sur elle des droits légitimes. Mais, s’il l’avait négligée pour un temps, lorsqu’elle revient à lui, après trois jours de jeûne, portant sur son visage les traces de ses angoisses et de ses souffrances, son intérêt s’émeut, son cœur va au-devant d’elle, lui accorde tout d’avance, et elle n’a qu’à demander, certaine, au premier mot, d’obtenir la réponse. Nous découvrons Dieu derrière cette scène, et si Assuérus, appelé à le représenter, n’est au fond qu’un être indigne, gâté par la toute-puissance, Dieu, le Dieu d’Israël, se sert de cette puissance et de son droit de grâce, pour marquer son propre caractère et accomplir ses desseins.
Nous l’avons dit : sous l’inspiration divine, Esther a la prudence du serpent. Il faut encore, pour que le jugement tombe sur Haman, que l’orgueil et la haine de ce dernier atteignent leur comble, et qu’il se trouve placé en présence de la race qu’il veut exterminer et dont Dieu a pris la défense. Le premier repas d’Esther ne fait qu’exalter son orgueil, mais « tout cela », dit-il, « ne me sert de rien aussi longtemps que je vois Mardochée, le Juif, assis à la porte du roi » (vers. 13). Il en est toujours ainsi des choses que Satan offre aux hommes pour les séduire. Quand ils les possèdent, comme Haman, ayant atteint la satisfaction de son orgueil, elles ne leur servent plus de rien, tant qu’une nouvelle convoitise n’a pas été satisfaite. Ainsi les pécheurs sont menés, de convoitise en convoitise, d’illusion en illusion, jusqu’au jour du jugement. Ici, la haine d’Haman, qui ne peut être assouvie que par le meurtre de Mardochée, va l’amener en contact direct avec le Dieu vengeur qui protège son serviteur. Quel sera alors le sort de l’Agaguite ? Sa chute se prépare, comme celle de Shebna : « Tu mourras, et là seront les chars de ta gloire, ô opprobre de la maison de ton Seigneur ! Et je te chasserai de ta place, et te renverserai de ta position » (Ésa. 22:18-19).
La haine satanique d’Haman, est encore plus forte que son orgueil. Toute sa gloire n’a plus de valeur, tant qu’il ne tient pas sa vengeance. Amis, femme, l’encouragent : « Va-t’en joyeux au festin avec le roi ». Il a pour lui toutes les félicitations que le monde peut offrir, quitte, après avoir flatté ses convoitises, à lui dire : « Tu tomberas certainement devant lui » (6:13).
Tout cela est une image, non seulement de la lutte entre Haman et Mardochée, mais entre Satan et Christ. Il faut que l’Adversaire se démasque complètement avant que Dieu intervienne. À la croix, Satan a dit : Tout ne me sert de rien, aussi longtemps que je ne me suis pas débarrassé de Christ. La crainte de le voir prendre la toute puissance et la souveraineté, la crainte de se voir, lui, remplacé dans son propre domaine par le Saint et le Juste, la crainte de voir le Seigneur accomplir ses desseins de grâce dans le salut de son peuple, force l’Ennemi à se dévoiler entièrement à la croix, en mettant Jésus à mort. Et, comme dans le livre d’Esther, cette scène se passe dans le moment même où Dieu cache sa face à Christ ! Ici, comme là, un homme seul est en jeu ; dans sa carrière d’humiliation, Christ avait « sauvé les autres », comme Mardochée avait sauvé le roi lui-même. Et cet homme, Mardochée, qu’avait-il demandé, qu’avait-il obtenu, en récompense ? Rien, pas plus que le Sauveur, dont il est le faible type. Dans son amour, il avait soigné tendrement et recueilli la fille de son peuple, comme une poule ses poussins sous ses ailes. Qu’en avait-il récolté ? Rien. Le gibet est préparé pour lui, haut de trente coudées ; il peut le voir s’élever au-dessus du palais de la ville de Suse. Que fait-il pour l’éviter ? Rien. Cet homme marche dans l’intégrité, vit d’une vie cachée, observe la loi, est asservi aux autres, souffre et pleure de leurs douleurs, et ne rencontre au bout de sa carrière qu’un gibet. Oui, comme dans notre récit, Satan se démasque à la croix, et Dieu reste caché. Dieu semble faible devant le triomphe du Méchant ; son serviteur est faible devant la redoutable puissance de l’Ennemi ; mais la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes, que Satan lui-même, et Dieu se glorifie à la fin par le jugement de l’Adversaire, par l’exaltation de Christ et par le salut de ses bien-aimés !
C’est dans ce chapitre que
paraît, d’une manière tout à fait remarquable, la providence secrète de Dieu en
faveur de son peuple. Le monde appelle cela hasard,
le croyant y voit Dieu
et
l’adore. S’il repasse avec reconnaissance les mille occasions de sa vie où, par
des circonstances, en apparence fortuites, Dieu l’a préservé ou conduit à son
insu, que sont ces secours individuels comparés à ce que nous voyons ici ?
Dieu étend sa protection sur un homme pour sauver tout un peuple, et délivre
Mardochée pour qu’Israël puisse être délivré. Or, comme nous l’avons déjà vu,
dans ce livre, si simple en apparence, et en réalité si plein de mystères,
Mardochée est un type de Christ ; mais n’oublions pas que Christ seul
traversa la mort elle-même pour
nous délivrer, car, tous étant morts, il devait mourir pour tous. Un Isaac ne
va pas au-delà de la sentence de mort
;
un David est voué à la mort
tous les
jours, sous la pression de son ennemi ; un Jonas est englouti vivant
dans le ventre du poisson, et en ressort vivant,
après avoir traversé la mort en figure ; un Mardochée voit le gibet de 50
coudées sans y être jamais suspendu
;
et c’est ainsi seulement, qu’avec tant d’autres personnages typiques, Mardochée
peut nous présenter une image de Christ. Christ seul a été pendu au bois, afin
de porter nos péchés, d’être fait malédiction pour nous, de réunir en un les
enfants de Dieu dispersés, de devenir le centre d’attraction pour tous les
hommes. Cependant ces types illustrent d’une manière merveilleuse les pensées
de Dieu et en éclairent les profondeurs. Bien autrement que Mardochée, Christ a
traversé dans son âme à Gethsémané la tribulation d’Israël, sous la colère
gouvernementale de Dieu ; bien plus que lui, il a poussé le « cri grand et
amer » vers Celui qui pouvait le tirer, lui et son peuple, des ténèbres de la
mort ; bien plus que lui, il a été exaucé à cause de sa piété. Mais, tout
autre que Mardochée, ses relations bénies avec Dieu son Père n’ont jamais été
interrompues. Sauf pendant les trois heures de ténèbres, elles sont toujours
restées en leur entier. En Gethsémané même, Jésus, disait : Abba, Père, alors
que dans l’angoisse du combat, il traversait par anticipation la tribulation de
son peuple. Sur la croix, avant les heures sombres de l’abandon, il dit : « Père,
pardonne-leur », et après ces heures, il dit : « Père, entre tes mains je remets
mon esprit ». C’est que, s’il traverse en Gethsémané la tribulation dans toute
son intensité (voyez le Ps. 102), il le fait comme un Être saint, innocent,
sans souillure, se substituant volontairement à son peuple, tandis que le
résidu d’Israël la traversera comme conséquence de ses péchés individuels et
collectifs. La tribulation morale, en Gethsémané, est l’acte d’un homme seul,
se substituant prophétiquement en grâce au résidu futur, afin que ce dernier
soit encouragé en apprenant que son Substitut a été délivré et qu’il y aura,
par conséquent, une délivrance pour les siens. Mais en outre, la tribulation
d’Israël est destinée, dans les voies de Dieu, à produire chez ce peuple la
repentance. La foi de Mardochée réalise cela par le jeûne, le sac et la cendre,
obscurément sans doute, car il ne peut sortir un instant de la position dans
laquelle l’indignation de l’Éternel l’a placé, lui et sa nation ; il n’ose
même (nous ne parlons ici que de ce que nous trouvons dans le livre d’Esther)
élever sa voix vers Dieu,
comme Jésus
le fit en Gethsémané.
Mais revenons au sujet principal de ce chapitre, aux voies mystérieuses de la providence de Dieu envers son peuple. Ici, les questions se pressent sur nos lèvres, et le résultat de ces événements est seul capable de nous donner la réponse. Le gibet est dressé pour Mardochée ; le plan d’Haman, ourdi avec tant d’habileté, semble arrivé à une réussite certaine. Pourquoi, cette nuit même, le sommeil fuit-il le roi ? Pourquoi, afin de soulager son insomnie, l’idée lui vient-elle de se faire lire le livre de ses Annales ? Pourquoi le lecteur tombe-t-il sur le passage relatif à Mardochée ? Pourquoi le roi s’enquiert-il des distinctions conférées à son sauveur ? D’où vient sa question : « Qui est dans la cour ? » Pourquoi Haman s’y trouve-t-il, à cet instant précis, venant solliciter de son maître l’exécution de Mardochée ? Pourquoi, s’adressant à lui, le roi donne-t-il à sa question une tournure qui fait tomber son favori dans le piège ? Pourquoi ce dernier est-il obligé de devenir lui-même le héraut de l’homme qu’il hait de toutes les forces de son âme ?
C’est que, pour sauver le
peuple, il fallait d’abord que Mardochée fût sauvé. À quoi pouvait servir
désormais le gibet dressé, puisque Mardochée avait été reconnu publiquement
comme celui que le souverain se plaisait à honorer. Il fallait qu’un seul homme
(et encore ici, nous retrouvons en Mardochée le type si intéressant de Christ)
devînt le libérateur du peuple ; et, dans ce but, il fallait qu’après
avoir été au dernier degré de l’humiliation, sous le sac et la cendre, il fût
élevé à la dignité suprême, que la Toute-puissance le fît (en image) Seigneur
et Christ. Cependant, tous les honneurs qui lui sont conférés n’empêchent pas
Mardochée de garder sa place de serviteur ; il revient « à la porte du roi »
(v. 12). Bien différent, certes, d’Haman qui s’élevait dans son orgueil sans
mesure, et voulait être servi par tous, Mardochée accomplit ici le type de
Christ. Il est venu prendre la forme d’un serviteur, non pas, il est vrai, par
contrainte comme Mardochée, mais librement en amour, venant s’assujettir,
servir et laisser sa vie. Comme Mardochée, il fut exalté par anticipation
sur la sainte montagne, et en redescendit pour
reprendre immédiatement son service. Mais bien plus encore, après avoir subi la
croix, il fut élevé à la droite du Père et de là, continuant son service, il
lave les pieds de ses disciples ; puis enfin, quand il sera pleinement
reconnu de tous, il continuera
encore
à servir son peuple céleste et son peuple terrestre, « agréable à la multitude
de ses frères » (10:3).
Les amis d’Haman, ses sages, sa femme elle-même, commencent à ouvrir les yeux : « Si Mardochée, devant lequel tu as commencé de tomber, est de la race des Juifs, tu ne l’emporteras pas sur lui, mais tu tomberas certainement devant lui » (v. 13). Où est leur sympathie pour celui qui se présente devant eux « triste et la tête couverte » ? Eux qui lui avaient dit, le soir précédent : « Va-t-en joyeux », n’ont plus un mot de réconfort pour le méchant abattu. « Tu as commencé de tomber… tu tomberas certainement devant lui. » Amertume ajoutée à toutes ses amertumes, au moment où la tribulation l’atteint lui-même. Peut-on attendre autre chose de l’égoïsme des cœurs naturels ? Pourvu que le mal ne les atteigne pas, que leur importe ? Celui qui leur dispensait les faveurs ne peut plus rien pour eux. Pas un d’entre eux ne cherche même à lui suggérer un moyen d’échapper à son sort. Tout croule autour de lui. Sans appui au dehors, il n’a plus même au dedans celui de son orgueil. Il faut bon gré, mal gré, qu’il subisse son sort ; car, dans ce moment même, « les eunuques du roi s’approchèrent et se hâtèrent de conduire Haman au festin qu’Esther avait préparé ». Ah ! cette parole : « Demain aussi, je suis invité chez elle avec le roi », se tourne contre lui ; le soleil de sa gloire est obscurci ; ce festin est la nuée, grosse d’orages, d’où la foudre tombera sur sa tête coupable !
L’heure du festin est
arrivée ; Assuérus réitère pour la troisième fois à Esther l’offre de la
moitié de son royaume. Quoi qu’il arrive, elle peut avoir une pleine confiance,
la promesse ayant été deux fois confirmée par la bouche du roi ; aussi
s’enhardit-elle tout à fait : « Si j’ai trouvé faveur à tes yeux, ô roi, et si le
roi le trouve bon, qu’à ma demande il m’accorde la vie, et mon peuple
à
ma requête ! Car nous sommes vendus, moi et mon peuple,
pour être détruits et tués, et pour périr. Or si nous
avions été vendus pour être serviteurs et servantes, j’aurais gardé le silence,
bien que l’ennemi ne pût compenser le dommage fait au roi ». Le moment est venu
où l’épouse juive dévoile son origine devant la puissance gentile dont elle a
gagné la faveur.
Nous avons ici la seconde
phase de l’histoire d’Esther, de l’histoire du résidu. Dans la première, Esther
est asservie aux nations ; sa beauté et sa grâce ne font qu’accentuer
encore cette servitude. Il lui est défendu de se faire connaître jusqu’à ce que
la puissance d’iniquité, représentée par Haman, soit parvenue à son comble.
Mais lorsque Mardochée, en qui nous avons vu un type de Christ, est attaqué par
l’ennemi qui cherche à se défaire de lui ; lorsque, déjà exalté par le
pouvoir suprême, les desseins de l’adversaire contre lui semblent près de
s’accomplir, Esther se dévoile et, ne pouvant laisser Haman remporter la
victoire, proclame sa parenté avec le peuple de Dieu qu’elle appelle : « Mon
peuple » ; et cela, devant le souverain qui lui est infiniment favorable et
la chérit. Elle a suivi, pour ainsi dire, tous les degrés par lesquels
Mardochée a passé. Quand il était caché, elle-même l’était, tout en ayant une
place de prédilection dans le cœur du souverain, et nul ne savait encore
qu’elle fût juive. Quand Mardochée est exalté, avant
d’acquérir la
toute-puissance sur les nations — aussitôt Esther se fait connaître comme
appartenant au peuple de Celui qui n’a pas encore en main le gouvernement des
nations, mais qui est élevé aux yeux de tous, manifesté comme ayant droit à la
dignité royale. Le temps assigné est venu ; l’Éternel va se lever et avoir
compassion de Sion (Ps. 102:13). L’heure a sonné ; déjà la gloire de
Mardochée s’est montrée avant que son gouvernement s’établisse ; comment
ne pas déclarer ouvertement qu’on appartient au peuple de Dieu ?
La première manifestation de
la gloire n’est pas encore l’établissement du règne. C’est d’elle, qu’il est
dit en Zach. 2:8: « Après la gloire
,
il m’a envoyé, vers les nations qui ont fait de vous leur proie ; car
celui qui vous touche, touche la prunelle de son œil ». C’est ainsi qu’après la
gloire de Mardochée, Esther est reconnue comme l’épouse juive, et que les
ennemis d’Israël deviennent la proie du peuple qu’ils avaient asservi. S’il
s’était agi d’accroître encore la servitude d’Israël « en vendant le peuple
comme esclaves », Esther aurait pu se taire, mais le peut-elle encore, quand son
protecteur est élevé en dignité, et qu’il est question d’anéantir son
peuple ? C’est à ce moment-là qu’Haman l’Agaguite est jugé ; ce sera
aussi le moment où l’Antichrist, dans lequel Satan se personnifiera, sera
précipité de sa hauteur et ira se briser dans l’abîme.
Après ces choses, nous allons
voir la troisième phase de l’histoire d’Esther : la possession paisible du
royaume, sous la puissance souveraine et sous l’administration de Mardochée,
type de Christ auquel cette administration sera confiée ; mais, dans notre
chapitre, nous nous trouvons encore dans la seconde phase, celle où Esther
obtient, en gage de ce qui lui a été promis, la vengeance sur l’ennemi : ce
dernier est enfin dévoilé comme « l’Adversaire, l’Ennemi, le Méchant », noms
donnés dans la Parole à Satan et à l’Antichrist. Il est trop tard pour
lui ; les angoisses assaillent cet homme qui avait cherché la mort du
juste, et dont la folie avait été jusqu’à s’attaquer au protecteur d’Israël. La
colère du roi ne s’apaise que lorsqu’Haman est pendu au gibet qu’il destinait à
Mardochée. Ce jugement d’Haman est exécuté, comme le sera celui de
l’Antichrist, avant
que Dieu soit
intervenu pour l’entière délivrance de son peuple ; mais Esther (le résidu
de Juda) est reconnue dans sa dignité royale et comme faisant partie du peuple
de Dieu, avant
que l’Antichrist soit
précipité.
La délivrance approche ;
mais auparavant, Esther déclare ce que Mardochée lui est
(non plus seulement son origine et le peuple dont elle fait
partie) : c’est la plus haute confession de l’épouse juive. Elle proclame
ouvertement les liens qui l’attachent à celui qui l’a élevée, elle orpheline,
l’a conseillée et reprise dans toutes ses angoisses. Mardochée avait déjà été
revêtu, comme ayant « parlé pour le bien du roi », de la dignité royale aux yeux
de tous les habitants de Suse, mais cette dignité n’était jusqu’ici que morale,
pour ainsi dire, et tout de
suite après, il reprenait sa position de serviteur à la porte du roi (v. 1,
15). Désormais, il n’est plus à la porte ; il entre devant le roi.
Sa dignité devient effective
et officielle
.
Il est « revêtu du manteau royal bleu et blanc » ; il porte une « grande
couronne d’or », et reçoit l’anneau royal qui lui confère l’autorité
d’administration sur les peuples. Tout cela n’est sans doute qu’une image
cachée, comme toutes les images de ce livre, mais la foi y découvre l’Homme
Christ Jésus, revêtu des attributs, des prérogatives, des responsabilités du
pouvoir suprême par le Souverain qui possède ce pouvoir (*). En effet, Christ, comme homme, dépend de Dieu ; il
recevra de Lui les rênes du gouvernement, et les remettra dans les mains de son
Père, après avoir administré le royaume pour Sa gloire.
(*) Nous ne pouvons
assez répéter que, par son caractère naturel,
Assuérus est l’un des plus tristes souverains de la Perse. Violent, mais
sans volonté ; intempérant ; soumis au mal comme au bien, selon les
influences ; inconscient de sa versatilité quand il change de décision ;
n’attribuant jamais à lui-même, mais aux autres, le mal qu’il a sinon accompli,
du moins toléré et encouragé (cf. 8:7). Mais, absolument à part de ses mérites
et de son caractère, le pouvoir est entre ses mains, en sorte que, à certaines occasions,
il ne nous est pas représenté comme ce qu’il est moralement,
mais comme le porteur
du pouvoir suprême.
C’est ainsi qu’il est dit : « Vous êtes des dieux »
et : « Il n’existe pas d’autorité, si ce n’est de par Dieu ».
C’est lui qui, désormais,
rendra, en faveur du peuple de Dieu, les arrêts qu’Haman, l’homme satanique,
avait rendus jusqu’alors pour le détruire. Esther lui reconnaît le droit sur
tout ce qui avait appartenu à Haman ; il prend, comme Libérateur,
la place usurpée par l’oppresseur des Juifs. Mais
Esther a encore un devoir vis-à-vis de celui qui possède l’autorité suprême.
Elle parle à Assuérus, se jette à ses pieds, pleure et supplie. Auparavant,
elle avait jeûné et n’avait mangé ni bu pendant trois jours ; maintenant,
elle s’humilie devant le souverain et implore sa grâce. Lui seul, son époux
légitime, peut détourner la calamité. Il tend le sceptre d’or à Esther ;
alors elle présente sa demande, sentant que, pour la voir s’accomplir, elle
dépend entièrement de la grâce : « Si le roi le trouve bon, et si j’ai trouvé
faveur devant lui, et que le roi estime la chose avantageuse, et que moi je
sois agréable à ses yeux, qu’on écrive pour révoquer les lettres ourdies par
Haman » (v. 5). Telle sera aussi l’attitude de l’épouse juive, dans le jour futur
où le mal, tramé par les hommes contre le peuple, sera près de l’atteindre. La
grâce seule pourra arrêter le jugement. Mais comment cela pourra-t-il avoir
lieu ? Le souverain n’est-il pas lié par ses propres décrets ? Il
n’est pas fils d’homme pour se repentir ; ce qu’il a dit s’achèvera. Il
faut que le jugement s’exécute : mais, au lieu de tomber sur le peuple d’Esther,
il tombera sur ses ennemis. C’est le jugement toujours, mais détourné, par la
grâce, de dessus la tête de ceux qui, après avoir reçu de la main de l’Éternel
le double pour tous leurs péchés, avaient maintenant besoin d’être consolés.
Quelle nouvelle pour le cœur d’Esther ! La grâce parle à son cœur, et lui
dit que son temps de détresse est accompli.
Toute cette scène semble correspondre, en quelque mesure à ce qui nous est dit d’Israël, en Apoc. 12, quand le serpent lance de sa bouche de l’eau comme un fleuve, fleuve des nations qui sont sous son influence, pour engloutir et anéantir le peuple du Messie. Mais la terre, scène de l’ordre divin dans le monde, ouvre sa bouche et engloutit le fleuve. N’est-ce pas ce qui arrive ici ? Ce sont les nations, qui sont englouties, et non pas le peuple de Dieu, dès que le gouvernement est mis entre les mains du seul qui soit digne de l’exercer, comme nous l’indique ce livre mystérieux d’Esther.
Ainsi le jour déterminé pour la ruine d’Israël devient le jour de sa délivrance, mais par le jugement et la vengeance sur ses ennemis. Le roi s’associe à tout ce qui arrive. Lui qui, tendant le sceptre d’or à Esther, a reçu en grâce toutes ses demandes, active sa parole pour l’accomplissement rapide de ce qu’il a promis (v. 14).
Quel changement de
scène ! Pour les âmes, plongées dans la nuit du désespoir, le soleil s’est
levé ; il y a lumière pour les Juifs « au temps du soir ». Où régnaient
l’appréhension et la terreur, on ne trouve plus que joie et allégresse. C’est
un jour de festin, un jour de fête. Un seul homme, Mardochée, a été
l’instrument et l’ordonnateur de cette immense délivrance. La joie s’étend à la
capitale des nations : « La ville de Suse poussait des cris de joie et se
réjouissait », en voyant apparaître, investi de puissance, avec un vêtement
royal bleu et blanc, une grande couronne d’or et un manteau de byssus et de
pourpre, celui qui avait déjà parcouru ses rues comme un sauveur
. Mais aussi la frayeur des Juifs tombe sur un grand nombre,
qui se font Juifs pour échapper au jugement.
Il en arrivera de même à la fin des temps : « En ces jours-là », dit Zacharie, « dix hommes de toutes les langues des nations saisiront, oui, saisiront le pan de la robe d’un homme juif, disant : Nous irons avec vous, car nous avons ouï dire que Dieu est avec vous ». (Zac. 8:23). Avant même que la vengeance soit exécutée, les Juifs sont dans la joie. Un repos, une confiance parfaite sont nés dans ces cœurs, avec l’apparition de Celui qui seul peut détourner la colère de dessus la tête du peuple. C’est ainsi que l’apparition de Christ mettra fin à la grande tribulation, avant même que le coup final ait été porté. La confiance remplira les cœurs, parce que Celui qui a aimé la vierge d’Israël, qui a porté sur son cœur le peuple captif, qui, dans toutes ses angoisses, a été en angoisse, a maintenant la Toute-puissance pour accomplir les glorieux desseins de son amour.
Ce chapitre nous amène à la
pleine délivrance. Au chap. 8, la frayeur des Juifs avait poussé beaucoup de
gens à se faire Juifs pour échapper au jugement. Au chap. 9:2, « personne ne
tint devant eux, parce que la frayeur des
Juifs tomba sur tous les peuples
». On voit encore ici l’action secrète de
la providence de Dieu en faveur de son peuple. Les nations de l’empire auraient
pu se coaliser contre l’infime minorité juive qui habitait au milieu d’elles,
mais personne ne résiste devant cette frayeur des Juifs. Bien plus, « tous les
chefs des provinces, et les satrapes, et les gouverneurs, et ceux qui faisaient
les affaires du roi, assistaient les Juifs, car la frayeur de Mardochée était tombée sur eux
». Il en sera de même à
la fin du siècle ; la crainte que le Christ inspirera, fera que « des rois
fermeront leur bouche en le voyant », et devront lui obéir. Pour comprendre la
sévérité de la répression, il faut se souvenir des sentiments qui animaient
contre les Juifs tous les peuples de l’empire. S’ils sont saisis de frayeur
quand le jugement est décrété, il n’en était pas ainsi quand leur animosité
semblait près d’être assouvie. À ce moment-là, ils étaient « ennemis
» des Juifs et « espéraient se rendre maîtres d’eux
» ;
ils les « haïssaient
» et « cherchaient leur malheur
». Cette haine
devait nécessairement rencontrer sa rétribution, et, le moment arrivé, c’était
la frayeur seule de Mardochée
qui
engageait les grands à « assister les Juifs ». « Tes ennemis », est-il dit de
Christ, « se soumettent à toi à cause de la grandeur de ta force ». « Les fils de
l’étranger se sont soumis à moi en dissimulant » (Ps. 66:3 ; 18:44).
Quant à Mardochée, « il était
grand dans la maison du roi, et sa renommée se répandait dans toutes les
provinces ; car cet homme, Mardochée, allait
toujours grandissant
» (v. 4). Il représente bien le Seigneur avançant en
force dans la possession de sa souveraineté terrestre. Comme pour David, lors
de son avènement, cette souveraineté ne s’établit pas par un coup de théâtre,
selon le langage des hommes. Ce n’est pas encore sa royauté établie, mais en
voie de formation ; elle ne sera définitive qu’après la victoire finale
sur le dernier de ses ennemis, mais sa suprématie est reconnue, avant que
toutes les nations lui soient assujetties.
L’oppresseur des Juifs est jugé, ainsi que toute sa race (v. 6-10) ; de même périra la race apostate de l’Antichrist en un jour futur, car l’heure de la vengeance a sonné. Seulement le peuple « ne met pas la main sur le butin » (v. 10, 15, 16), d’accord avec ce qui était prescrit à l’égard d’Amalek ou des ennemis d’Israël (1 Sam. 15:9 ; Jos. 6:19-20). Il ne s’agit que d’accomplir le jugement de Dieu, sans aucun profit pour ceux qui en sont les exécuteurs. Assuérus accepte la vengeance comme une nécessité. Sa capitale, où a été fomenté le complot contre les Juifs, est livrée, un jour de plus que les autres villes du royaume, au jugement de Dieu. Le quatorzième et le quinzième jour deviennent partout des jours de joie, de festin et de repos.
Ainsi se termine l’année de la grande tribulation.
Le roi des nations ne paraît plus sur la scène que sous la dépendance d’Esther et de Mardochée ; il n’est question que d’eux jusqu’à la fin du chapitre. C’est Mardochée qui, comme le Messie futur, ordonne la joie et le repos. « Les Juifs, acceptèrent de faire ce qu’ils avaient commencé et ce que Mardochée leur avait écrit. » Ils se soumettent à la parole écrite par celui qui avait été inconnu et ignoré de tous, et d’eux-mêmes, et que Dieu a maintenant exalté à tous les yeux (*).
(*) La parole écrite
de Mardochée prend une importance toute nouvelle dans un livre où la loi
n’est pas mentionnée une seule
fois.
La mémoire de ces jours se perpétue d’âge en âge. Une seule fête, celle des Purim, est mentionnée dans ce livre, fête nouvelle qui dure à toujours en commémoration de la délivrance du peuple terrestre de Dieu. Il y a accord parfait entre Esther et Mardochée, et le peuple ; ce que les premiers établissent, le second l’établit pour lui-même (v. 31). Ce qui est « écrit dans le livre » à l’occasion de leurs jeûnes et de leur cri, est célébré dans toutes les générations. Ainsi se termine ce récit qui nous conduit à l’aube du temps glorieux qui suit la délivrance, et nous amène prophétiquement au seuil du règne millénaire de Christ.
Le chap. 10 est comme un appendice, résumant en quelques mots le résultat final des événements précédents. La puissance souveraine, dont Assuérus est le représentant, voit, à la suite de la délivrance des Juifs, tout le pays, et bien au delà, les côtes maritimes qui n’appartenaient pas primitivement au roi, se soumettre et payer le tribut ; faible image de l’établissement du royaume de Christ sur le monde entier.
Mardochée est grand, exalté par le Souverain, établi second après Assuérus, c’est-à-dire occupant une position subordonnée vis-à-vis du pouvoir suprême. Telle sera l’exaltation de Christ, comme chef des nations. Comme dit Ésaïe : « Mon serviteur agira sagement ; il sera exalté et élevé, et placé très haut. Comme beaucoup ont été stupéfaits en te voyant — tellement son visage était défait, plus que celui d’aucun homme, et sa forme, plus que celle d’aucun fils d’homme — ainsi il fera tressaillir d’étonnement beaucoup de nations ; des rois fermeront leur bouche en le voyant ; car ils verront ce qui ne leur avait pas été raconté, et ils considéreront ce qu’ils n’avaient pas entendu » (52:13-15 ; voyez encore Mal. 1:11).
Mais le caractère de
Mardochée à l’égard de son peuple est spécialement marqué ici : — « Il fut grand
parmi les Juifs », prospérant dans
sa magnificence (Ps. 45:4) ; — « agréable
à la multitude de ses frères », comme jadis le fils d’Isaï (1 Sam. 18:5) ;
— « cherchant le bien
de son peuple »,
comme David, l’Oint, recherchera le bien de Jérusalem (Ps. 122:9), ou comme
l’Éternel pensera à faire du bien à la maison de Juda (Zac. 8:15) « parlant pour
la paix
de toute sa race ». Ce livre
se termine donc au moment où le règne de la paix commence. Tout ce peuple,
jadis opprimé, est reconnu comme la race (ou la semence) de Mardochée. Quelle
fin ! Ainsi est réalisée dans une mesure cette parole : « Paix sur la terre
et bon plaisir dans, les
hommes ! »
Résumons en quelques mots le contenu de ce livre, ainsi que le caractère du personnage principal.
Dans un temps où Dieu cache encore sa face à son peuple, l’épouse d’entre les nations est répudiée, et la vierge d’Israël prend sa place dans le cœur du Souverain. Cachée encore, quant à son origine, elle devient son épouse pour être reine des nations. L’adversaire suscite une grande tribulation contre le peuple, mais il est vaincu par le libérateur d’Israël qui prend possession de tous ses biens, et il subit le sort préparé par lui à l’objet de sa haine. L’épouse juive est reconnue publiquement comme telle ; les ennemis du peuple sont les objets de la vengeance qu’ils voulaient exercer contre lui ; l’administration du royaume est confiée à celui qui avait été le serviteur de tous, et qui inaugure enfin le règne de justice, de paix et de joie.
Dans ce livre, Mardochée attire tout particulièrement notre attention. On peut distinguer en lui deux ordres de qualités, son caractère moral et son caractère officiel.
Son caractère moral,
précieux tableau de celui du Sauveur, nous frappe
par sa tendresse, sa délicatesse de cœur, ses affections de famille, ses soins
constants pour l’orpheline. Mais il est tout aussi remarquable par la justice
et la droiture, le courage et la décision, l’attachement inébranlable à la
parole de Dieu. Prenant la place du résidu d’Israël, il accepte la servitude,
lui qui allait être déclaré grand entre tous ; toutefois, il refuse de
courber la tête devant l’adversaire, résiste à l’ennemi au prix de sa propre
vie. Il s’associe à la détresse de son peuple et la subit dans son âme, mais il
est patient dans l’espérance, et c’est là le triomphe de la foi quand l’ennemi
est tout-puissant et que Dieu cache sa face.
Son caractère officiel
est tout aussi remarquable. Il veille à la porte
du roi et devient ainsi le Sauveur des nations ; il est reconnu comme tel,
au moment où l’adversaire satanique est précipité. Il est le Sauveur de son
peuple et, comme administrateur du royaume, porte lui-même les attributs de la
royauté et la grande couronne. Il se fait craindre dans le jugement, exerce la
vengeance, mais comme prélude du repos ; et règne en justice. Il préside à
la joie et à l’allégresse qu’il a procurées à sa semence. Il ordonne tout, en
compagnie de l’épouse juive, sa fille adoptive, qui règne sur les nations et
partage son intérêt pour son peuple. Il devient le Prince des rois de la terre,
agréable à Dieu et à ses frères, grand et, dans son caractère royal, faisant
tout en vue du bien — il introduit enfin le règne de paix.
C’est avant tout à Lui, que l’Esprit de Dieu veut nous attacher dans le livre d’Esther.