(Extrait de l’Étude de Henri Rossier sur Josué 7 et 8)
par Henri Rossier
La défaite d’Aï eut pour résultat d’apprendre aux Israélites à mieux connaître à la fois leurs propres coeurs et le caractère du Dieu qui les conduisait. Avant de considérer les résultats pratiques de cette leçon que Dieu avait donnée à son peuple en le disciplinant, je désire faire un rapprochement entre les chap. 7 et 8 de Josué et les chap. 20 et 21 des Juges. C’est un fait connu que la fin du livre des Juges, depuis le chap. 17, ne suit pas l’ordre chronologique (cf. 20:28), mais nous offre un tableau de ce qui s’est passé avant que Dieu suscitât des juges, un tableau de l’histoire d’Israël immédiatement après la mort de Josué. Le déclin avait été rapide et complet ; l’idolâtrie et la corruption morale régnaient partout. Au commencement et à la fin de ces chapitres, nous trouvons cette formule : « Chacun faisait ce qui était bon à ses yeux ». Plus de dépendance de Dieu, de sa Parole : la mesure du bien et du mal, c’était la conscience de l’homme. Chacun se dirigeait d’après sa propre conscience ; la conscience était la mesure de la marche.
Ce tableau diffère-t-il beaucoup de celui de la
chrétienté ? Que s’est-il passé après le départ des apôtres ? Le
déclin a-t-il été moins subit, moins complet ? Sans parler des principes
corrompus du papisme, la chrétienté protestante éclairée, met-elle en avant la
Parole, ou bien la conscience comme règle de conduite ? Prêche-t-elle la
soumission à la parole de Dieu, ou bien la liberté de conscience est-elle son
mot d’ordre ? Et quel est le résultat, lorsque l’on prend sa conscience
pour guide ? La confusion la plus absolue. Chacun ne tarde pas à se
conduire d’après son propre jugement. Mais un péché horrible avait eu lieu à
Guibha. Ce n’est pas l’interdit, la faute cachée, comme en Josué 7 ; c’est
un péché commis à la face de Dieu et des hommes. Le misérable Lévite publie lui-même
sa honte, il n’est pas une des tribus d’Israël qui n’en soit instruite (Juges
19: 29). Qu’est-ce que le peuple va faire ? Eh bien ! comme pour le
péché d’Acan, Dieu se servira du péché de Guibha pour mettre à nu l’état moral
d’Israël, pour l’humilier et réveiller chez lui la conscience de ce qui est dû
à Dieu. Seulement ici, l’état moral des tribus est beaucoup plus bas et plus
grave qu’il ne l’était devant Aï.
Ils
sont indignés, mais du tort qui leur a été fait ; la pensée du tort fait à Dieu
est absolument absente de leur
esprit. Ils parlent de « l’infamie que Guibha a commise en Israël », de la
« méchante action que l’on a commise parmi ceux » de la tribu de Benjamin ;
mais pas le moindre mot de la honte jetée sur le nom de l’Éternel. Comme cela
prouve le déclin, et qu’elle est différente la parole de Phinées aux deux
tribus et demie (Josué 22: 16) : « Quel est ce crime que vous avez commis contre
le Dieu d’Israël ? »
À ce premier symptôme du déclin s’en lie un second ; ils
avaient abandonné ce qu’on pourrait appeler le premier amour.
Le Seigneur n’était plus devant les yeux,
l’affection pour lui avait diminué, et par conséquent aussi l’affection pour ce
qui était né de lui. Ils oublient que Benjamin est leur frère
. « Qui de nous montera le premier pour livrer bataille aux fils de Benjamin ? »
(Juges 20:
18). Ces derniers, de leur côté, « ne voulurent pas écouter la voix de leurs frères,
les fils d’Israël » (v.
13).
Un troisième symptôme, c’est l’oubli de l’unité du peuple.
Remarquez que les onze tribus formaient
en apparence une unité magnifique ; elle était presque
aussi belle que lorsque Israël se purifia d’Acan et fut
restauré devant Aï.
Ah !
cependant ce n’était plus l’unité de Dieu ! Le peuple avait beau être
« réuni, comme un seul homme » (v. 1), ou « se lever, comme un seul homme » (v. 8),
ou s’unir contre Guibha, « comme un seul homme » (v. 11), Benjamin manquait à
l’unité d’Israël, et Dieu n’en reconnaît qu’une. Bien-aimés, ces anneaux du
déclin se rivent l’un à l’autre ; oubli de la présence de Dieu, abandon du
premier amour, mépris de l’unité, malgré les meilleures apparences.
Benjamin n’était-il donc pas coupable ? Oui, infiniment
coupable. On voit chez lui, dès le début, le
parti pris de ne pas juger le mal.
Averti d’un crime patent, aussi bien que
les autres tribus (19: 29), ayant connaissance que l’assemblée des fils
d’Israël était en voie de juger le mal, averti enfin, bien que ce fût dans un
esprit charnel, qu’il eût à s’en purifier, il se refuse à tout devoir. Il renie
l’unité d’Israël en établissant le
principe de l’indépendance
, et
loin de se purifier du crime de Guibha, il s’y associe avec l’inutile et
misérable semblant de faire une différence (20: 15). Benjamin devait être jugé,
mais l’état du peuple tout entier était si mauvais, qu’il rendait le jugement
impossible selon Dieu et qu’il lui fallait passer lui-même par le crible, avant
de pouvoir réellement se purifier du crime de Guibha. Qu’aurait dû faire
Israël, s’il avait eu un sens droit des choses ? S’humilier d’abord en
présence de l’Éternel, consulter l’Éternel, et puis agir. Au lieu de cela, que
font-ils ? Ils commencent par se
consulter
, pauvre résultat
de l’oubli de la présence de Dieu ; ils prennent des mesures ; ils
décident très scripturairement « d’ôter le mal du milieu d’Israël », mais en
oubliant complètement qu’eux-mêmes sont atteints par le mal, que Benjamin,
c’est eux-mêmes. Après avoir pris tous leurs arrangements, et dénombré leurs
guerriers, « ils montèrent à Béthel et interrogèrent
Dieu
» (v. 18). C’est,
hélas ! l’esprit du déclin ; c’est ce que l’on trouve partout dans la
chrétienté, et souvent chez de chers enfants de Dieu, ce que, même
généralement, on érige en principe. Nous nous proposons quelque chose qui
semble bon, puis au moment de l’exécution de nos plans, souvent après
avoir tout arrangé, nous demandons
à Dieu de nous bénir.
Le résultat de cet oubli complet des principes divins, c’est
que, dans la première journée, vingt-deux mille hommes d’Israël sont mis par
terre. Alors les enfants d’Israël remontent vers l’Éternel en pleurant ;
c’est la douleur
, et non plus l’indignation
charnelle, qui remplit leurs coeurs. Ils appellent Benjamin leur frère
. L’amour perdu, l’esprit de solidarité, se réveillent. Puis ils
se rangent encore en bataille et perdent dix-huit mille hommes. Pourquoi cette
seconde défaite ? Dieu, dans sa bonté, voulait produire un résultat
complet. La douleur n’était pas tout, ni la proclamation des liens qui les
unissaient ; il fallait un jugement complet de soi-même, la repentance
devant Dieu ; il fallait remonter le chemin du déclin jusqu’à retrouver la
présence de l’Éternel et sa communion perdue. Aussi est-il dit : « Et tous les
fils d’Israël, et tout le peuple, montèrent et vinrent à Béthel, et pleurèrent,
et demeurèrent là devant l’Éternel et jeûnèrent
ce jour-là jusqu’au soir, et ils
offrirent
des holocaustes et des sacrifices de prospérités devant
l’Éternel » (v. 26). Désormais, nous voyons se dérouler une scène qui offre une
très grande analogie avec celle de Aï. Il faut qu’Israël mette une embuscade
(v. 29), fuie devant Benjamin (v. 32), que trente hommes encore, après toutes
leurs pertes, soient blessés à mort, que le feu soit mis dans la ville pour
servir de signal. Israël, entièrement jugé, et rentré en communion avec Dieu,
peut désormais rencontrer le pénible devoir de juger le profane Benjamin ;
mais alors que de sanglots, que de larmes, à la suite de la victoire !
(21: 2). Comme elle était différente cette scène, de celle de Jéricho, où « le
peuple jetant un grand cri, la muraille tomba sous elle-même » ! (Jos. 6:
20). C’est qu’il s’agissait ici de leurs frères, d’une tribu presque retranchée
par le jugement. Après cela Dieu, dans sa grâce, et au milieu de bien des
complications amenées par la hâte charnelle des décisions premières d’Israël,
Dieu, dis-je, rétablit le grappillage de Benjamin.
Mais il est un parti dans l’assemblée d’Israël, qui est traité
plus sévèrement par le peuple restauré que ne le fut Benjamin lui-même. Jabès
de Galaad n’était pas venu au camp, à l’assemblée (21: 8). C’était une indifférence
hautement proclamée, une neutralité
qui
ne tenait aucun compte du mal, bien pire encore que la colère charnelle avec
laquelle Benjamin s’était révolté, en méprisant une décision de l’assemblée, et
qui lui avait fait prendre les armes contre ses frères, en s’associant au mal.
Jabès dut être exterminé à la façon de l’interdit.