Henri Rossier — Courtes méditations

Y a-t-il de la BONTÉ dans l’HOMME — Actes 28:1-10

H. Rossier — Courtes méditations — n°27

ME 1922 p. 301-304

Nous n’avons qu’à consulter le troisième chapitre de l’épître aux Romains, v. 9-18, pour apprendre qu’il « n’y a point de juste, non, pas même un seul » ; qu’il « n’y en a aucun qui exerce la bonté, non, pas même un seul » et qu’il « n’y a point de crainte de Dieu devant leurs yeux ». C’est ainsi que Dieu voit les hommes et les juge. L’apôtre en conclut que la foi seule peut mettre l’homme en rapport avec Dieu.

À première vue l’arrêt de l’épître aux Romains semble concorder avec plusieurs des faits qui nous sont présentés dans le passage placé en tête de cette méditation. Le vaisseau qui porte l’apôtre et ses compagnons s’échoue dans la tempête sur l’île de Malte. Les soldats sont d’avis de tuer les prisonniers dont Paul fait partie, malgré l’assurance de ce dernier qu’ils seraient tous sauvés et son affirmation que « Dieu lui a donné tous ceux qui naviguaient avec lui ». Nous voyons encore que, poussés par leur affreux égoïsme, les matelots cherchent à se sauver en s’emparant de la chaloupe, ne tenant aucun compte de la vie du reste de l’équipage.

À seconde vue nous trouvons plusieurs faits qui semblent contredire l’enseignement de cette épître. Parmi les personnes cruelles ou égoïstes qui se trouvent sur le vaisseau, la plus élevée en grade, le centurion Jules, traite Paul avec humanité en lui permettant, à Sidon, d’aller vers ses amis pour jouir de leurs soins (27:3). Ce même Jules, voulant sauver l’apôtre, empêche les soldats d’exécuter leur cruel dessein (v. 43).

Les mêmes sentiments se manifestent chez les barbares, habitants de l’île. Il nous est dit qu’ils usèrent d’une humanité peu ordinaire envers Paul, ses compagnons, et tous les passagers.

La suite du récit nous parle de Publius, principal de l’île, qui reçut et logea pendant trois jours, avec beaucoup de bonté l’apôtre et ses compagnons. Toute cette sollicitude pour les malheureux naufragés fut récompensée : le père de Publius, gravement malade, fut guéri par la prière et l’imposition des mains de l’apôtre. Les habitants de l’île eux-mêmes reçurent, par la guérison de leurs malades, le salaire de leur dévouement, et fournirent en retour à l’apôtre et à ses compagnons tout ce qui leur était nécessaire pour le voyage.

De tels faits semblent contredire l’affirmation de l’état irrémédiable du coeur de l’homme, et cependant il n’en est rien. D’où vient que le centurion Jules, se prenant d’affection pour l’apôtre, lui vient en aide et réussit à le sauver des mains des soldats ? Du fait que Dieu, pour accomplir ses desseins, entoure Paul des soins de sa providence et dirige à son gré les sentiments et le coeur de cet homme. D’où vient l’humanité des barbares ? Ne sent-on pas que le Seigneur veille sur son serviteur et incline à son gré vers lui le coeur des habitants de l’île ? Bien plus, en excitant leur compassion envers ses serviteurs, Dieu se fraye un chemin pour répondre en grâce à leurs propres besoins. Il guérit leurs malades. C’est sans doute une récompense, mais une récompense des sentiments et dispositions que lui-même a produits. Quelle était la source de la bonté de Publius ? Comme Jules, il était peut-être attiré par le caractère de Paul ; mais la grâce seule agissait pour rendre ce caractère attractif.

En dehors donc de la foi, l’on peut constater chez les pécheurs des sentiments de compassion, de dévouement, de reconnaissance. Ces sentiments, Dieu les provoque et les emploie à ses desseins de grâce. Jésus lui-même les reconnaît comme aimables et dignes d’intérêt, quand même, comme on le voit chez le jeune homme riche (Marc 10:21), ils ne font pas avancer d’un seul pas le coeur de l’homme dans la connaissance de Dieu.

Tout cela revient à dire que Dieu peut incliner les coeurs les plus ignorants, les plus indifférents ou les plus endurcis, à des sentiments qui accomplissent ses desseins de grâce ou de délivrance envers les siens, et que, ayant posé ce premier jalon, Il s’en sert pour amener ces mêmes personnes à sa connaissance par le moyen des serviteurs du Seigneur qu’elles ont secourus. La Bible abonde en exemples pareils. Je citerai, au hasard de ma mémoire, Abraham en présence des fils de Heth, David en présence d’Ornan, Daniel dans la fosse aux lions en présence de Darius, Néhémie trouvant grâce devant Artaxerxès. Oui, Dieu façonne les coeurs des hommes, souvent les plus endurcis, pour accomplir ses desseins de grâce.

Ce n’est pas tout. Il y a une seconde raison au déploiement de certaines qualités dans le coeur de l’homme pécheur. Ces qualités, si l’on ose parler ainsi, sont inhérentes à la nature humaine en tant que nature animale. On trouve l’amour maternel et le soin de sa progéniture chez la femelle des animaux, comme chez la femme ; l’attachement à son maître chez le chien, comme chez l’homme, etc. Ce sont des traits instinctifs appartenant à l’espèce animale, et dont Dieu se sert pour protéger sa création. Il les a mis lui-même dans l’homme et les animaux pour la conservation de l’espèce ou pour protéger une faiblesse qui, étant exposée à mille dangers, ne pourrait subsister sans ces qualités.

Telle est la simple explication de ce qui, dans notre passage, n’a que l’apparence d’une contradiction. On rencontre des natures plus ou moins nobles, plus ou moins généreuses, désintéressées, émues de compassion, promptes au dévouement… mais pourquoi, je le demande, le caractère de Christ soulève-t-il toujours la haine dans le coeur de l’homme naturel ? Comment se fait-il, quand un homme divinement parfait, un homme plein de grâce et de vérité, un homme qui est l’amour divin personnifié, vient se présenter au monde pour le sauver, que tous, sauf ceux qui l’ont reçu par la foi, le haïssent et crient : Qu’il soit crucifié ?