H. Rossier — Courtes méditations — n°36 [32]
ME 1923 p. 205-210
Il y a pour l’homme un bonheur initial
. Avant de le connaître tout était pour lui misère et malheur.
Je ne dis pas qu’il ne cherche, en sa qualité de pécheur, à atteindre le
bonheur, mais, ne le connaissant pas, comment saurait-il où
le
chercher ? Il poursuit, l’une après l’autre toutes les formes de bonheur
que son ignorance lui suggère, sans même parler des mauvaises convoitises et
des souillures que le monde et son prince lui offrent comme un appât. Toujours
déçu, le malheureux finit, s’il est sincère, ce qu’il est, du reste, très
rarement, par tomber dans l’indifférence d’un effort inutile, ou dans un amer
dégoût suivi d’un sombre désespoir.
Mais, dès que l’âme du
pécheur commence à être travaillée et que la conscience le force à se présenter
devant Dieu, repentant, confessant ses péchés, et réalisant pour la première
fois ce qu’est la crainte de Dieu, le voilà qui, pour la première fois aussi, a
trouvé le bonheur. Il peut dire : « Bienheureux
celui dont la transgression
est pardonnée et dont le péché est couvert ! Bienheureux
l’homme à qui l’Éternel ne compte pas le péché ! »
Il ne cherche plus, comme il le faisait précédemment, à rien cacher à Dieu, car
il n’y a plus de « fraude » dans son coeur, comme quand il prétendait s’approcher
de Dieu, dans son état d’inconversion (voy. Ps. 32:1-2). Le poids énorme qui
pesait sur sa conscience a disparu ; la paix, la faveur de Dieu lui sont
acquises. Tel est le premier bonheur.
* * *
Le deuxième bonheur peut être
défini ainsi : le bonheur actuel
dans la marche
. Il commence
après la conversion et nous accompagne jusqu’au moment où nous quittons ce
monde pour être auprès du Seigneur. L’intervalle entre ces deux moments, qui
comprend de fait tout notre vie chrétienne, la Parole nous le dépeint comme un bonheur perpétuel
. Ah ! direz-vous, rien n’est moins vrai que ce que vous
dites-là ! Ne trouvons-nous pas dans ce monde des tristesses, des deuils,
des pertes, des souffrances perpétuelles, des désillusions, des tentations où
nous succombons, des combats où nous sommes vaincus ? Appelez-vous cela le
bonheur ? Oui, certes
,
si
vous vous mettez en route avec votre bonheur initial ; non
, à coup
sûr, si vous marchez en reniant votre origine. D’où vient que l’épître aux
Philippiens, dont le sujet est précisément l’expérience chrétienne dans la
marche, ne nous parle que
de joie,
jamais de malheur, et nous décrive le racheté comme capable de marcher « sans
broncher jusqu’au jour de Christ » ? D’où vient que l’épître aux Hébreux ne
nous parle jamais du péché que comme aboli, et du chrétien, que comme capable
de le rejeter et d’aboutir victorieusement au terme de son témoignage ?
(voy. aussi Jude 24).
Telle est la marche chrétienne.
Idéale,
direz-vous. Non pas, mais normale
. Comprenez-vous maintenant pourquoi elle peut être une marche
bienheureuse d’un bout à l’autre ?
C’est ce que Dieu attend de
nous ; il a tout préparé pour cela ; il a ôté tout obstacle à la
réalisation de ce bonheur. Ne sommes-nous pas entièrement purifiés par le sang
de Christ, justifiés par la foi, scellés du Saint Esprit ? N’avons-nous
pas la vie éternelle et la puissance de cette vie ? Ne sommes-nous pas
ressuscités avec Christ, assis en Lui dans les lieux célestes ? L’amour de
Dieu n’est-il pas versé dans nos coeurs ? Sans doute, nous avons la chair,
le péché, le vieil homme en nous, mais nous ne sommes plus dans la chair. Dieu
nous donne le droit de nous tenir pour morts au péché, parce que le péché dans la chair
a été condamné en
Christ sur la croix. Christ est mort une fois pour toutes au péché et il vit à
Dieu ; et moi aussi je puis me tenir moi-même pour mort au péché et vivant
à Dieu dans le Christ Jésus.
Toute raison pour être malheureux dans la chair m’est donc ôtée ; et,
Christ vivant en moi, toute raison d’être bienheureux m’est fournie.
Voyons maintenant, après
avoir accentué l’entière capacité du nouvel homme pour être heureux, où et
comment se montre le bonheur chez le chrétien. Avez-vous remarqué que les
Psaumes qui nous présentent toutes les sortes de souffrances pouvant assaillir
et accabler les saints, sont le livre où il nous est plus souvent parlé de
bonheur que dans tout le reste de la Bible ? Pourquoi ? C’est que la
souffrance est le moyen employé pour nous faire jouir du bonheur dans la
manifestation de toutes les qualités du nouvel homme : dans la dépendance,
dans la confiance, dans l’humilité, dans la sainteté, dans le repos, dans la
force, trouvée en Lui seul et nous permettant de marcher de force en force,
dans la liberté des relations ininterrompues avec Dieu, même dans la discipline
qui a pour but de nous faire
rentrer dans ce chemin bienheureux si nous nous en écartons.
Ces qualités morales du
fidèle représentent, sauf la dernière
, les caractères de Christ lui-même.
Comment ne trouverions-nous pas notre bonheur à les réaliser dans le
développement journalier de toutes les perfections du parfait serviteur :
dévouement, débonnaireté, justice, sainteté, paix, vérité, sympathie, miséricorde,
amour ? Comment ne pas être heureux si, dans la mesure où nous manifestons
ces choses, nous souffrons de la part du monde ? Christ a traversé ces
souffrances dans une paix parfaite et dans une joie accomplie qu’il nous a
laissées et données. Nous pouvons donc les traverser de la même manière, nous
qui avons reçu de Lui la nature divine, la vie éternelle et le Saint Esprit,
puissance de cette vie.
Et comment, en outre, ne jouirions-nous pas de notre bonheur, quand, au milieu des tribulations nous sommes puissamment soutenus par l’espérance ?
Or maintenant, demandons-nous
d’où vient que tant de chrétiens ne sont pas heureux ? C’est que, d’un
côté, tout en ayant le pardon de leurs péchés, ils n’en ont pas fini avec
eux-mêmes, qu’ils ne sont pas affranchis
. Ils n’usent pas du privilège de se
tenir pour morts au péché et pour vivants à Dieu. Ils ne peuvent pas
dire : « Je suis crucifié avec Christ, et je ne vis plus, moi, mais Christ
vit en moi » ; et : « Je n’ai aucune
confiance en la chair » (Gal. 2:20 ; Phil. 3:3).
C’est que, d’un autre côté,
ils n’ont pas rompu avec le monde et ne peuvent dire : « Qu’il ne m’arrive
pas à moi de me glorifier, sinon en la croix de notre Seigneur Jésus Christ,
par laquelle le monde m’est crucifié, et
moi au monde
» (Gal. 6:14).
Tel est le secret du bonheur
actuel dans la marche. Un chrétien, vraiment affranchi du vieil homme et du
monde, sera, à travers tout et en toute occasion, un homme pratiquement
bienheureux. Ayant la chair en lui, il est toutefois continuellement en danger
de retourner aux choses qu’il avait abandonnées. De là les châtiments et la
discipline du Père qui ont pour but de nous ramener au bonheur que notre folie
nous avait fait abandonner. Il va sans dire « qu’aucune discipline, pour le
présent, ne semble être un sujet de joie, mais de tristesse
; mais,
plus tard, elle rend le fruit paisible
de
la justice à ceux qui sont exercés par elle » (Hébr. 12:11).
* * *
Considérons maintenant le
troisième bonheur. Ici nous ne parlons pas du bonheur éternel, mais du bonheur final
dans lequel le chrétien entre
au bout de sa course. C’est ce qui
est appelé dans la Parole : « l’entrée
dans le royaume éternel de
notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ » (2 Pierre 1:11). Cette entrée peut nous
être richement ou pauvrement donnée. Et de quoi cela dépendra-t-il ? De la
manière dont nous aurons réalisé notre second bonheur dans notre marche
ici-bas. À ce sujet, l’une des expériences les plus solennelles de ma vie a été
la suivante :
Un chrétien de ma
connaissance avait pleinement joui du premier bonheur qui accompagne la
conversion. Peu de temps après il avait marché selon les convoitises du vieil
homme et avait dû être retranché de la communion de l’Assemblée. De longues
années s’écoulèrent. Le jour de sa mort il me fit appeler et me dit : Je
désire que vous parliez sur ma tombe et que vous disiez publiquement à tous les
assistants, à mes frères en Christ et aux gens du monde qui seront présents,
que je ne doute pas un seul instant de mon salut, mais que je quitte cette
terre sans aucun bonheur
et dans
une profonde tristesse
que ne
diminue pas même la pensée de voir le Seigneur, parce que toute ma vie a
été inutile pour Lui
. Ce message d’outre-tombe, communiqué à une
nombreuse assistance, eut, je pus m’en convaincre, un effet salutaire sur quelques-uns.
Ainsi, sur les trois bonheurs du chrétien, cet homme en avait à jamais perdu
deux pour satisfaire ses convoitises.
Si, jour après jour, nous
réalisons notre second bonheur ici-bas, nous pourrons dire du troisième, notre
course terminée, au moment d’entrer en Sa présence : « Ta face est un rassasiement de joie
; il y a des plaisirs à ta droite
pour toujours ! » (Ps. 16:11).