Henri Rossier — Courtes méditations

Le Chrétien charnel — 1 Cor. 3:1-6

H. Rossier — Courtes méditations — n°25

ME 1922 p. 277-281

Notre Méditation précédente signalait l’écueil principal de la vie chrétienne. Il consiste en ce que la Parole n’a pas dans notre coeur la place qu’elle devrait avoir. Cela ne signifie point qu’elle ne soit pas connue : jamais peut-être les âmes n’ont été mises en contact avec elle plus qu’aujourd’hui, mais elle n’exerce pas sur la conscience des chrétiens une influence incontestable et toute-puissante. Il n’en est jamais autrement quand les chrétiens sont charnels et cela ressort d’une manière très frappante de la première épître aux Corinthiens. Pourquoi donc l’apôtre accuse-t-il ses chers enfants dans la foi d’être « charnels », d’être « de petits enfants en Christ », de ne pouvoir « supporter la nourriture solide », d’être « des hommes » ? Ce n’est pas qu’ils ne connussent pas la parole de Dieu, mais, la connaissant, ils ne la mettaient pas en pratique. « Ne savez-vous pas ? » leur répète-t-il neuf fois dans les premiers chapitres de cette épître. Ce n’était donc pas la connaissance de la Parole qui leur manquait, mais ils ne faisaient pas usage de cette connaissance pour régler leur marche sur elle. Toutes les fautes que l’apôtre leur signalait quant à leur conduite dans l’assemblée de Dieu dépendaient de ce manque de conscience dans la manière dont ils se servaient de la Parole.

Leur principale faute (car il y en avait d’autres) était l’importance qu’ils donnaient à l’homme. Ils ne « manquaient d’aucun don de grâce » ; ils avaient été « enrichis en toute parole et toute connaissance », ils possédaient « la pensée de Christ » (1:5, 7 ; 2:16), mais ils étaient charnels !

Pourtant Dieu les avait choisis hors du monde et de ses prétentions : il n’y avait parmi eux, selon la chair, ni beaucoup de sages, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles ; ils faisaient plutôt partie des choses faibles, viles et méprisées du monde, de celles même qui ne sont pas, car Dieu voulait ôter à la chair tout prétexte pour se faire valoir ou s’enorgueillir. Qu’est-ce donc que la chair, si malgré cela, ils étaient enflés d’orgueil, et à ce point aveuglés, qu’ils supportaient parmi eux des péchés répudiés même par le paganisme ?

Le fait que toutes les grâces reçues ne les avaient pas amenés à un jugement foncier de l’homme, les faisait donner à ce dernier une place parmi eux, que Dieu lui refuse absolument. L’un se disait disciple de Paul, l’autre d’Apollos, l’autre de Pierre ; d’autres considéraient même Christ homme comme un chef d’école : de là les discussions, les divisions, les sectes, les disputes, au mépris de l’unité du corps de Christ. Au lieu d’être des saints, ils étaient des hommes, par conséquent « charnels, et marchant à la manière des hommes » (3:3, 4). Dans ce chemin aucun progrès spirituel n’est possible : la « nourriture solide » n’était pas faite pour eux ; l’apôtre devait les nourrir de lait, c’est-à-dire des premiers éléments de la foi, d’un Christ mort et ressuscité qui avait mis fin, sur la croix, à l’homme dans la chair. De là sa description de l’Évangile au chap. 15:1, où il est obligé de leur faire savoir les vérités les plus élémentaires du christianisme.

Cette tendance charnelle engendrait l’orgueil, le désir de se produire, l’absence de jugement dans les choses de Dieu et de discernement dans les choses du monde.

Il est à remarquer que les Corinthiens furent amenés au jugement d’eux-mêmes et à une repentance selon Dieu par les exhortations de l’apôtre, et purent recevoir dans la seconde épître des lumières qui donnèrent un caractère céleste à leur foi ; mais pourrait-on en dire autant des chrétiens actuels ? N’offrent-ils pas un spectacle des plus affligeants, sans parler du mépris des obligations que la parole de Dieu nous impose ? Cette place donnée à l’homme ne caractérise-t-elle pas aujourd’hui l’ensemble du témoignage chrétien ? Il va sans dire que je ne parle pas de ceux qui, ne connaissant pas Dieu et, ne possédant pas sa vie, ne peuvent avoir que l’homme devant les yeux. Ceux dont je parle sont de vrais croyants ; ils ne forment pas même une classe de croyants, mais constituent ici-bas, aux yeux de Dieu, le corps de Christ. Or je demande si notre manière de penser, de faire un choix parmi les hommes que Dieu envoie pour le bien de son peuple ici-bas, diffère de celle des Corinthiens. Un chrétien disait que les croyants qui se choisissent un homme pour les conduire, sont pareils à des enfants indisciplinés que leur père, à son départ, laisserait libres de choisir eux-mêmes leur précepteur. Ils choisiraient naturellement celui qui conviendrait le mieux à leurs goûts et s’opposerait le moins à leurs travers : Combien cet homme officiel serait différent de celui que le père aurait choisi !

Admettons que cet homme soit éminent par sa piété, son dévouement, son éloquence, son désintéressement ; plaçons-le même au plus haut degré de l’échelle morale, ce choix est-il aujourd’hui plus approuvé de Dieu qu’il ne l’était du temps des Corinthiens ? Certes, bien moins encore, car où sont aujourd’hui les Paul, les Apollos, les Céphas pour remplir ces fonctions ? Nous ne parlons pas de ceux qui disent encore aujourd’hui : Pour moi je suis de Christ ; je m’en tiens au sermon sur la montagne comme à l’exposé le plus parfait de la vie chrétienne !

N’est-ce pas de cet esprit charnel que sont sorties toutes les soi-disantes églises qui se partagent la chrétienté professante ?

Une chose me frappe quant à l’état charnel de beaucoup de chrétiens : Ils accordent à l’homme leur confiance suivant l’opinion qu’ils se font de sa piété. Consulter la Parole sur ce que sont les dons de l’Esprit et sur les caractères qu’ils doivent revêtir pour l’édification du corps de Christ, n’aborde pas même leur pensée. Aussi qu’arrive-t-il ? Ces chrétiens n’ont aucun égard aux dons que le Seigneur envoie à son Assemblée et ainsi la bénédiction qui leur était destinée est perdue pour eux. Cette manière charnelle de considérer les dons a un résultat presque invariable sur les dons eux-mêmes, quand on les rencontre dans les organisations humaines. L’homme, exalté par ceux qui l’ont choisi, conscient de l’importance que ce choix lui donne, s’estime lui-même et travaille à devenir un centre d’attrait pour les âmes. De cette manière un très grand mal est produit. Les âmes sont soustraites à la dépendance immédiate de la Parole qui serait leur guide, et exemptées de l’obéissance à cette même Parole qui les sortirait de toute attache et milieu antiscripturaires. Elles suivent l’homme, défendent l’homme, partagent les opinions de l’homme. Si vous leur prouvez que l’homme qu’elles ont choisi s’écarte, dans ses enseignements, de la parole de Dieu, elles défendront son enseignement à la face même de la Parole écrite.

L’apôtre s’élevait de toute son autorité apostolique contre cette tendance sectaire. Après la première épître aux Corinthiens, rien n’est plus instructif sous ce rapport que le premier chapitre de l’épître aux Galates. Tout ce qui est de l’homme y est mis de côté comme absolument incompatible avec le ministère chrétien. Cela veut-il dire que les fidèles ne doivent pas se souvenir de leurs conducteurs qui leur ont annoncé la parole de Dieu et imiter leur foi en considérant l’issue de leur conduite ? ou qu’ils ne soient pas appelés à suivre le modèle que ces hommes de Dieu ont mis sous leurs yeux par leur fidélité à la parole divine ? (Phil. 3:17). Certes pas ! mais, quant à l’importance qu’on voulait leur donner, l’apôtre dit : « Ni celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose ; mais Dieu qui donne l’accroissement » (1 Cor. 3:7). Et, quant à la récompense de son propre travail il l’attend de Dieu seul dont il est collaborateur (1 Cor. 3:8-9).