H. Rossier — Courtes méditations — n°25
ME 1922 p. 277-281
Notre Méditation précédente
signalait l’écueil principal de la vie chrétienne. Il consiste en ce que la
Parole n’a pas dans notre coeur la place qu’elle devrait avoir. Cela ne
signifie point qu’elle ne soit pas connue : jamais peut-être les âmes
n’ont été mises en contact avec elle plus qu’aujourd’hui, mais elle n’exerce
pas sur la conscience des chrétiens une influence incontestable et
toute-puissante. Il n’en est jamais autrement quand les chrétiens sont charnels
et cela ressort d’une manière
très frappante de la première épître aux Corinthiens. Pourquoi donc l’apôtre
accuse-t-il ses chers enfants dans la foi d’être « charnels », d’être « de petits
enfants en Christ », de ne pouvoir « supporter la nourriture solide », d’être « des
hommes » ? Ce n’est pas qu’ils ne connussent pas la parole de Dieu, mais,
la connaissant, ils ne la mettaient pas en pratique. « Ne savez-vous pas ? »
leur répète-t-il neuf fois dans les premiers chapitres de cette épître. Ce
n’était donc pas la connaissance de la Parole qui leur manquait, mais ils ne
faisaient pas usage de cette connaissance pour régler leur marche sur elle.
Toutes les fautes que l’apôtre leur signalait quant à leur conduite dans
l’assemblée de Dieu dépendaient de ce manque de conscience dans la manière dont
ils se servaient de la Parole.
Leur principale faute (car il
y en avait d’autres) était l’importance
qu’ils donnaient à l’homme.
Ils ne
« manquaient d’aucun don de grâce » ; ils avaient été « enrichis en toute
parole et toute connaissance », ils possédaient « la pensée de Christ »
(1:5, 7 ; 2:16), mais ils étaient charnels
!
Pourtant Dieu les avait
choisis hors du monde et de ses prétentions : il n’y avait parmi eux,
selon la chair
, ni beaucoup de sages, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de
nobles ; ils faisaient plutôt partie des choses faibles, viles et
méprisées du monde, de celles même qui ne
sont pas
, car Dieu voulait
ôter à la chair tout prétexte pour se faire valoir ou s’enorgueillir. Qu’est-ce
donc que la chair, si malgré cela, ils étaient enflés d’orgueil, et à ce point
aveuglés, qu’ils supportaient parmi eux des péchés répudiés même par le
paganisme ?
Le fait que toutes les grâces
reçues ne les avaient pas amenés à un jugement foncier de l’homme,
les faisait donner à ce dernier une place parmi eux, que
Dieu lui refuse absolument. L’un se disait disciple de Paul, l’autre d’Apollos,
l’autre de Pierre ; d’autres considéraient même Christ homme comme un chef
d’école : de là les discussions, les divisions, les sectes, les disputes,
au mépris de l’unité du corps de Christ. Au lieu d’être des saints
, ils étaient des hommes
, par conséquent « charnels, et
marchant à la manière des hommes » (3:3, 4). Dans ce chemin aucun progrès
spirituel n’est possible : la « nourriture solide » n’était pas faite pour
eux ; l’apôtre devait les nourrir de lait, c’est-à-dire des premiers
éléments de la foi, d’un Christ mort et ressuscité qui avait mis fin, sur la
croix, à l’homme dans la chair. De là sa description de l’Évangile au chap.
15:1, où il est obligé de leur faire
savoir
les vérités les plus élémentaires du christianisme.
Cette tendance charnelle engendrait l’orgueil, le désir de se produire, l’absence de jugement dans les choses de Dieu et de discernement dans les choses du monde.
Il est à remarquer que les
Corinthiens furent amenés au jugement d’eux-mêmes et à une repentance selon
Dieu par les exhortations de l’apôtre, et purent recevoir dans la seconde
épître des lumières qui donnèrent un caractère céleste à leur foi ; mais
pourrait-on en dire autant des chrétiens actuels ? N’offrent-ils pas un
spectacle des plus affligeants, sans parler du mépris des obligations que la
parole de Dieu nous impose ? Cette place donnée à l’homme
ne caractérise-t-elle pas aujourd’hui l’ensemble du
témoignage chrétien ? Il va sans dire que je ne parle pas de ceux qui, ne
connaissant pas Dieu et, ne possédant pas sa vie, ne peuvent
avoir que l’homme
devant
les yeux. Ceux dont je parle sont de vrais croyants ; ils ne forment pas
même une classe de croyants, mais constituent ici-bas, aux yeux de Dieu, le
corps de Christ. Or je demande si notre manière de penser, de faire un choix
parmi les hommes que Dieu envoie pour le bien de son peuple ici-bas, diffère de
celle des Corinthiens. Un chrétien disait que les croyants qui se choisissent
un homme pour les conduire, sont pareils à des enfants indisciplinés que leur
père, à son départ, laisserait libres de choisir eux-mêmes leur précepteur. Ils
choisiraient naturellement celui qui conviendrait le mieux à leurs goûts et
s’opposerait le moins à leurs travers : Combien cet homme officiel serait
différent de celui que le père aurait choisi !
Admettons que cet homme soit éminent par sa piété, son dévouement, son éloquence, son désintéressement ; plaçons-le même au plus haut degré de l’échelle morale, ce choix est-il aujourd’hui plus approuvé de Dieu qu’il ne l’était du temps des Corinthiens ? Certes, bien moins encore, car où sont aujourd’hui les Paul, les Apollos, les Céphas pour remplir ces fonctions ? Nous ne parlons pas de ceux qui disent encore aujourd’hui : Pour moi je suis de Christ ; je m’en tiens au sermon sur la montagne comme à l’exposé le plus parfait de la vie chrétienne !
N’est-ce pas de cet esprit charnel que sont sorties toutes les soi-disantes églises qui se partagent la chrétienté professante ?
Une chose me frappe quant à
l’état charnel de beaucoup de chrétiens : Ils accordent à l’homme
leur confiance suivant l’opinion qu’ils se font de sa piété
. Consulter la Parole sur ce que sont
les dons de l’Esprit et sur les caractères qu’ils doivent revêtir pour
l’édification du corps de Christ, n’aborde pas même leur pensée. Aussi
qu’arrive-t-il ? Ces chrétiens n’ont aucun égard aux dons
que le Seigneur envoie à son Assemblée et ainsi la bénédiction
qui leur était destinée est perdue pour eux. Cette manière charnelle de
considérer les dons a un résultat presque invariable sur les dons eux-mêmes,
quand on les rencontre dans les organisations humaines. L’homme, exalté par
ceux qui l’ont choisi, conscient de l’importance que ce choix lui donne,
s’estime lui-même et travaille à devenir un centre d’attrait pour les âmes. De
cette manière un très grand mal est produit. Les âmes sont soustraites à la dépendance
immédiate de la Parole qui serait leur guide, et exemptées de l’obéissance à
cette même Parole qui les sortirait de toute attache et milieu
antiscripturaires. Elles suivent l’homme, défendent l’homme, partagent les
opinions de l’homme. Si vous leur prouvez que l’homme qu’elles ont choisi
s’écarte, dans ses enseignements, de la parole de Dieu, elles défendront son
enseignement à la face même de la Parole écrite.
L’apôtre s’élevait de toute
son autorité apostolique contre cette tendance sectaire. Après la première
épître aux Corinthiens, rien n’est plus instructif sous ce rapport que le
premier chapitre de l’épître aux Galates. Tout
ce qui est de l’homme
y est mis de côté comme
absolument incompatible avec le ministère chrétien. Cela veut-il dire que les
fidèles ne doivent pas se souvenir de leurs conducteurs qui leur ont annoncé la
parole de Dieu et imiter leur foi en considérant l’issue de leur
conduite ? ou qu’ils ne soient pas appelés à suivre le modèle que ces
hommes de Dieu ont mis sous leurs yeux par leur fidélité à la parole
divine ? (Phil. 3:17). Certes pas ! mais, quant à l’importance
qu’on voulait leur donner,
l’apôtre dit : « Ni celui qui plante n’est
rien,
ni celui qui arrose ; mais Dieu qui donne l’accroissement » (1
Cor. 3:7). Et, quant à la récompense
de
son propre travail il l’attend de Dieu seul dont il est collaborateur (1 Cor.
3:8-9).