H. Rossier — Courtes méditations — n°14
ME 1922 p. 101-105
Le chapitre placé en tête de
cette méditation nous apprend que certains chrétiens possèdent une connaissance
qui les distingue d’autres
chrétiens, ignorants et plus faibles qu’eux. Cette connaissance affranchit ceux
qui la possèdent de certains scrupules de conscience auxquels leurs frères sont
sujets ; mais, en usant de leur liberté, ils pèchent contre les faibles,
et, en péchant contre eux, ils pèchent contre Christ (v. 12). Voilà où une
certaine connaissance peut faire tomber un chrétien dans ses rapports avec ses
frères ; mais, en outre, elle lui fait courir, quant à lui-même, un danger
tout aussi positif : « La connaissance enfle ». Elle nous donne de l’orgueil
et nous remplit de notre importance. Elle met en relief, elle fait revivre et
exalte, pour ainsi dire, le vieil homme dont la croix de Christ nous avait
délivrés ! Ne courons-nous pas, aujourd’hui comme jadis, pareil danger ?
Nous pouvons avoir une appréciation exacte de la non-valeur de ce que le monde
appelle « sa religion », et n’en tenir aucun compte, mais nous pouvons, par là,
blesser la conscience de nos frères faibles qui en sont sortis, mais attachent
encore quelque importance aux choses dont ils se sont séparés.
Il est encore une autre forme
de connaissance
. Celle-ci nous met en rapport avec
les choses saintes et provient directement de l’action du Saint Esprit en nous.
C’est ainsi que nous lisons en 1 Cor. 12:8-10 : « À l’un est donnée, par
l’Esprit, la parole de sagesse ; et à un autre la parole de connaissance,
selon le même Esprit… et
à un autre des dons de grâce de guérison, par le même Esprit, et à un autre des
opérations de miracles… » Or, que faisaient les Corinthiens de tous ces dons,
car il ne leur en manquait aucun
, « ayant été enrichis en Christ en
toute parole et toute connaissance ? » (1 Cor. 1:5, 7). Ils s’en servaient
pour se faire valoir, ou, ce qui revient au même, ils « s’enflaient d’orgueil »
(1 Cor. 4:6, 19 ; 5:2 ; 13:4), quand ils auraient dû les employer en
vue de l’utilité
du corps de Christ
(12:7) et pour l’édification (14:3, 5). De là venait aussi que, dans leur
esprit charnel, ils préféraient faire montre de dons miraculeux au milieu de
l’assemblée, que de s’employer à un service plus humble où le vieil homme ne
pouvait prendre l’occasion de s’enorgueillir.
Aujourd’hui que, par suite de
la ruine de l’Église professante, ces manifestations miraculeuses ont disparu,
le même esprit peut se faire jour dans l’exercice des dons que la grâce nous a
laissés, et nous laissera jusqu’à la fin, pour l’édification du corps de Christ
(Éph. 4:11-13). Cet esprit se montre surtout en ce qui concerne la connaissance
, c’est-à-dire l’enseignement. On verra l’évangéliste, ou celui
qui édifie, aspirer à être docteurs, alors que leurs dons sont infiniment
supérieurs à celui-ci pour la conversion des âmes ou leur avancement dans la
piété. Quelle est donc la cause de cette singulière aberration, si ce n’est,
qu’enseigner les autres semble donner plus de relief, selon la chair, à celui
qui enseigne, comme un professeur occupe une position supérieure à celle de ses
élèves ? L’enseignement est nécessaire, mais nous avons à « désirer avec
ardeur les dons spirituels, surtout de prophétiser
» (14:1), non pas d’enseigner, parce
que la prophétie, dans le sens de cette épître, met les âmes directement
en rapport avec Dieu et que
notre moi n’y trouve pas son compte, n’ayant là ni place, ni importance.
Nous venons de toucher ici au
second danger de la connaissance, même en tant que don spécial de l’Esprit.
Aussi Jacques peut-il nous dire : « Ne soyez pas beaucoup de docteurs,
mes frères, sachant que nous
en recevrons un jugement plus sévère » (Jacq. 3:1). Le jugement de ce « docteur »
est d’autant plus sévère qu’enseignant les autres, sa place spéciale le charge
d’une responsabilité supérieure à la leur.
Que faut-il donc penser de notre chair, si la connaissance, comme don de l’Esprit, peut être employée pour parer ou faire valoir le vieil homme ?
Mais il est une connaissance
qui ne s’accompagne jamais d’aucun danger
et qui est, au contraire,
une source de bénédictions infinies pour celui qui la possède et pour ceux
auxquels il la communique. Elle diffère entièrement des deux précédentes par son objet
. L’objet de ces dernières était le moi
. On y pense, a
dit un frère, « comme à une chose qu’on possède,
qui est en nous,
qui est notre
connaissance ».
La connaissance dont nous
parlons a Christ pour objet
; c’est ce qui lui enlève tout
danger pour l’âme et devient, au contraire, une source de jouissance toujours
renouvelée.
Cette connaissance n’enfle
jamais : elle nous humilie profondément, tout en nous remplissant de joie.
Elle nous met en contact habituel avec la Parole, mais pour y chercher Celui qui
y est révélé, Jésus-Christ. Jamais nous ne pourrons atteindre la plénitude de
cette connaissance, tant que nous serons ici-bas où nous ne « connaissons qu’en
partie » ; il nous faudra être introduits dans la perfection de la gloire
pour connaître à fond comme nous avons été connus (1 Cor. 13:12). Dans notre
état d’imperfection, nous ne pouvons qu’y croître, selon qu’il est dit :
« Croissez dans la grâce et dans la
connaissance de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ ».
Cette connaissance nous
libère de nos attaches aux choses de la terre : « Et je regarde aussi », dit
l’apôtre, « toutes choses comme étant une perte à cause de l’excellence de la connaissance
du Christ Jésus, mon Seigneur » (Phil. 3:8). L’apôtre avait un
sentiment si profond que cette connaissance était incomplète, que, bien loin de
« s’enfler », plein d’une humilité profonde, il s’exprimait au bout de sa
carrière comme s’il était au début
de
cette connaissance (Phil. 3:10). Comment aurait-il pu songer à s’enorgueillir
de sa connaissance quand toute sa vie de fidélité chrétienne n’aboutissait qu’à
la conviction qu’il en était encore aux éléments de la connaissance de Christ.
Connaître Christ, n’est pas
autre chose que connaître l’amour,
cet
amour de Christ
qui surpasse toute
connaissance (Éph. 3:19). La connaissance de l’amour de Christ a pour
conséquence que nous nous attachons aux objets auxquels cet amour s’attache,
comme il est dit : « Comme je vous ai aimés, que vous aussi, vous vous
aimiez l’un l’autre » (Jean 13:34). Cette connaissance n’enorgueillit jamais,
car « l’amour ne s’enfle pas » (1 Cor. 13:4), mais notre passage du chap. 8:1 le
définit ainsi : « L’amour édifie
». Connaître Jésus, c’est connaître l’amour. L’amour de Christ
édifie notre propre âme au lieu de lui nuire ; l’amour édifie l’âme de nos
frères en contribuant à les faire croître dans la connaissance de Christ ;
l’amour attire les âmes à Christ au lieu de les attirer à l’homme. Toute autre
chose, même « la connaissance, aura sa fin » ; tandis que l’amour ne périt
jamais. « Or maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance et
l’amour ; mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour » (1 Cor.
13:13).