Le style de la louange en vogue

E. Ropp — Extraits de la revue « La Bonne Nouvelle, BP82121, F-68060 Mulhouse Cedex2 » — 1/2007 p. 811-812


Le numéro de novembre 2006, de « Christianisme Aujourd’hui », contient un article (*) fort intéressant de Christian Willy sur l’évolution du recueil de chants « J’aime l’Éternel ». Il rappelle son historique, relevant combien les débuts furent difficiles, tant le contenu des cantiques traduisait parfois « une spiritualité désincarnée, une confusion entre royaume de Dieu et la notion de nation ». Son succès s’est imposé par l’usage, « la piété, avec un accent mis sur le ressenti, a eu raison de la précision doctrinale », conclut-il.


(*) Tiré d’un article de Christian Willy dans le « Christianisme Aujourd’hui », nov. 2006 p. 2021 paru (sous le titre : Notre louange est-elle devenue narcissique ?) à l’occasion de la sortie du troisième volume du recueil de chants « J’aime l’Éternel », de Jeunesse en Mission.


Aujourd’hui le recueil est très répandu, surtout dans le mouvement évangélique classique et charismatique.

Selon le constat dressé par la psychologue Sarika Pilet, « le recueil a transformé la physionomie de la louange du mouvement évangélique… Placées sous la loupe, les paroles des 837 chants publiés en trente ans traduisent une évolution vers une louange qui s’est décentrée de Dieu pour se focaliser sur l’individu, ses attentes et ses demandes ».


1 - Les chants qui ne parlent que de Dieu ont disparu dès 1995.

Les résultats de l’enquête sont très significatifs… « Centrée sur les paroles des chants d’adoration et de consécration, elle met en évidence plusieurs changements significatifs. Les chants basés sur des textes bibliques ont notablement reculé (de 33% à 13% entre ceux écrits avant 1980 et ceux composés depuis 1990)… Les chants de la catégorie « adoration » comportent toujours plus de demandes (la moitié sous forme de souhait, l’autre sous forme d’impératifs : « Bénis-moi », « remplis-moi » etc.) Enfin, les chants qui ne parlent que de Dieu ont disparu depuis 1995, alors que l’adorateur lui-même prend toujours plus de place dans les paroles des chants ».


2 - Changement de mentalité ou dérive vers une autre spiritualité ?

Les observations faites par Sarika Pilet sont très significatives pour quelqu’un qui se soucie de la croissance spirituelle (vue d’un point de vue biblique) des croyants.

Qu’indiquent donc ces changements ? Pour Sarika Pilet, le rapport croissant entre l’individualisme, la culture de l’esprit de consommation et des chants centrés sur l’individu est indéniable : « Ces chants traduisent notre manière d’entrer en relation avec Dieu : l’homme reste centré sur lui-même et ses besoins. Il s’agit de vivre des expériences spirituelles fortes (*), d’accéder à la plénitude, au bien-être, etc. Les chants reflètent parfois aussi le côté « tout, tout de suite » développé par notre société axée sur la consommation », observe-t-elle. Pour nous, le contenu de ces chants indique plutôt un changement dans la relation entre le chrétien et Dieu.


(*) Mais s’agit-il réellement d’expériences spirituelles au sens de progrès réels dans la connaissance objective de Dieu, fondées sur Sa Parole ? L’observation de la réalité montre qu’il s’agit plutôt d’expériences psychiques et sentimentales !


Faut-il, alors, parler de changement de mentalité ? N’est-ce pas davantage une dérive vers une spiritualité qui n’a plus tellement à voir avec l’action du Saint-Esprit dans le coeur de l’enfant de Dieu ?

Autre constat pour Christian Willy : « Plus les chants sont récents, plus ils se basent sur l’expérience personnelle du croyant dans la louange. Les chants d’adoration plus anciens contenaient peu de demandes et, lorsque tel était le cas, la requête concernait l’avancement du Royaume de Dieu ».

Sylvain Freymond, auteur et compositeur de cantiques et responsable de l’édition du recueil, met cette évolution sur le compte de la bénédiction de Toronto et du développement de la relation d’aide : « Le côté positif de cette évolution, c’est qu’elle a permis à de nombreuses personnes d’être touchées et d’approfondir leur relation avec Dieu ». Une telle influence de la soi-disant « bénédiction de Toronto », est propre à nous inquiéter et à nous interpeller sérieusement sur ses effets néfastes.

… Ne faut-il pas s’interroger sur l’esprit qui inspire une telle louange ?

La situation préoccupe des personnes… qui espèrent qu’une prise de conscience plus générale se produira. Des efforts ont été entrepris pour inverser la tendance égocentrique et retrouver l’équilibre, dit-on. Mais quel équilibre peut-on retrouver s’il n’y a pas de compréhension juste des fondements de la vie chrétienne, à commencer par une connaissance biblique de ce que sont les deux notions fondamentales : la repentance et la foi ?

Nous relevons avec intérêt ces remises en question. Cependant, il ne nous semble pas qu’un retour vers une louange selon les Écritures soit chose aisée dans un contexte où le « psychique » prend souvent la place du « spirituel ».